Le 23 décembre 1983, Françoise Rudetzki était victime d’un attentat à la bombe au restaurant Le Grand Véfour (Paris), alors qu’elle et son mari fêtaient leurs dix ans de mariage. Handicapée à la suite de ce drame, elle a fondée l’association SOS Attentats en 1986 pour promouvoir les droits des victimes de terrorisme. Le 7 janvier 2015, le journaliste Philippe Lançon est à la rédaction de Charlie Hebdo lorsque deux terroristes djihadistes pénètrent dans les locaux et font feu sur l’équipe de l’hebdomadaire satirique. Les balles le laissent défiguré, la mâchoire arrachée, mais vivant.

Chacun, à son rythme, a choisi de relater cet événement traumatique dans un récit de témoignage, vingt-et-un ans après les faits pour Françoise Rudetzki (Triple peine, Calmann-Lévy, 2004), trois ans pour Philippe Lançon (Le Lambeau, Gallimard, 2018). Au-delà de la singularité des contextes entre ces deux attentats de différentes natures, ainsi que des temporalités d’écritures de ces récits, ces témoignages présentent de frappantes convergences. Dans le cas d’attentats – mais cela pourrait également s’appliquer à d’autres types d’événements traumatiques comme des crimes ou des catastrophes –, les récits de victimes, souvent recherchés par les maison d’éditions, participent comme les récits médiatiques à la restitution du « mental-émotionnel » des contemporains. Ici, la trace autobiographique va cependant plus loin dans la compréhension et l’intelligibilité de l’événement et de sa violence.

En effet, ces narrations de « survivants » ont le mérite de proposer une autre lecture de l’attentat que celle véhiculée par les récits médiatiques, en réintroduisant le temps long de l’événement et, surtout, de ses suites. Car une fois le choc de la sidération, viennent pour la victime le difficile « travail » de reconstruction et le calvaire d’un parcours médical.