02 - Publicité, quelle histoire ?
Gilles Feyel
Renaudot et les lecteurs de la Gazette, les « mystères de l’État » et la « voix publique », au cours des années 1630
Le Temps des médias n°2, printemps 2004, p.163-175Alors que les historiens médiévistes mettent en évidence les expressions d’une véritable opinion publique au temps des rois Valois, faut-il continuer à refuser son existence au cours des années 1630 ? En ce premier xviie siècle, les « mystères de l’à‰tat » n’empêchent pas les bons esprits de s’interroger sur les « affaires du temps », même s’il est peu convenable d’en débattre en public. Après les guerres de religion, l’à‰tat se réserverait la scène publique où il interdirait tout débat politique, mais laisserait les « particuliers » libres de tout jugement dans la seule sphère privée de leurs cabinets. Cette répartition des rôles est encore mal observée, si l’on en juge à la querelle littéraire du Cid, une querelle de particuliers envahissant l’espace public, pris à témoin. Les différentes préfaces de Renaudot montrent qu’il a parfaitement saisi la scission public/particulier. Mais la Gazette, intégrée dans l’espace public, lue tout autant dans cet espace que dans l’espace privé, s’adresse à un lecteur capable de « jugements » et de « censures », c’est-à -dire d’appréciations critiques et sur le travail du gazetier et sur les actions des rois et des princes. Cette diversité de jugements individuels qui finissent par s’additionner, contribue à la formation de la « voix publique », de l’« opinion commune ».
Alors qu'il venait tout juste de lancer la Gazette, Théophraste Renaudot a fondé le journalisme français en énonçant dans les « préfaces » de ses Relations une véritable éthique de vérité, qui lui a permis d'afficher une posture de liberté, une distance vis-à -vis des « puissances », mais aussi de ses lecteurs. [1] Qu'une telle distance ait existé ou non, n'était pas l'important. Il fallait sembler y croire et s'efforcer de le faire croire. De ce début en fanfare, de toutes ces proclamations de vérité et d'impartialité, Renaudot a tiré une autorité, certes contestée, une autorité néanmoins face au pouvoir d'État et à ses « mystères », face aussi à ses lecteurs, dont les « jugements » et les « censures » participaient à la formation de la « voix publique », peut-être déjà à une opinion publique.
Les « mystères de l'État »
Parmi toutes ces « censures », il faut laisser de côté les menues critiques de tel ou tel lecteur s'estimant maltraité par la Gazette : reproches constants pendant ces années où l'honneur et la représentation étaient des valeurs fondamentales dans une société où la noblesse donnait le ton. Dans la Préface de 1631, Renaudot résume bien tout cela, mais note qu'il lui était aussi reproché de ne point donner d'information sur les « mystères de la Cour ». Écho de la vie mondaine des courtisans et des souverains ? Allusion aux délibérations gouvernementales, aux « mystères de l'État » ?
Les capitaines y voudraient rencontrer tous les jours des batailles et des sièges levés ou des villes prises. Les plaideurs, des arrêts en pareil cas. Les personnes dévotieuses y cherchent les noms des prédicateurs [...]. Ceux qui n'entendent rien aux mystères de la Cour, les y voudraient trouver en grosse lettre. Tel qui a porté un paquet en Cour, ou mené une compagnie d'un village à l'autre sans perte d'homme, ou payé le quart dernier de quelque médiocre office, se fâche si le Roi ne voit son nom dedans la Gazette.
Depuis toujours, étaient affirmés les « mystères de l'État », que le « public » ne devait pas connaître ni s'efforcer de découvrir. À la fin de 1413 déjà , réfléchissant sur le mouvement avorté de la réforme cabochienne, le chroniqueur du règne de Charles VI (1380-1422) se fait l'écho des « personnes sages » qui participent au gouvernement, et regrette que l'Université et les bourgeois de Paris aient voulu « se mêler d'affaires aussi difficiles qui ne devaient être traitées que dans les conseils secrets du roi par les princes des lis. » [2] En 1593 et 1594, avec l'abjuration et le sacre du roi Henri IV – le « roi de la raison » selon Denis Crouzet –, l'État et la raison d'État s'affirment, pour s'imposer au temps de Richelieu. [3]
Faut-il détailler les réflexions des bons esprits, qui après Giovanni Botero et son traité Della Ragion di Stato (1589, trad. française en 1599), se sont efforcés de penser l'art de gouverner pour « conserver » l'État et assurer le bonheur des peuples par la paix civile ? Pour ou contre Tacite et Machiavel, ces théoriciens mettent en évidence que l'État et les princes agissent ou réagissent en fonction de leurs intérêts bien compris. En 1634, le duc Henri de Rohan formule tout cela : « Les princes commandent aux peuples, et l'intérêt commande aux princes. La connaissance de cet intérêt est d'autant plus relevée par-dessus celle des actions des princes qu'eux-mêmes le sont par-dessus les peuples… » [4] D'un côté, observe Marcel Gauchet, les princes sont dégagés des contraintes de la morale au nom des suprêmes intérêts qu'ils ont à servir, « ce qui fonde l'exception mystérieuse des voies de l'État », ces arcana imperii de Tacite, ces « mystères de l'État » interdits au « vulgaire », au commun des mortels. De l'autre, les intérêts d'État pouvant être rigoureusement analysés, l'action du Prince devient « prévisible et déchiffrable, exposée à l'appréciation du public ». Étrange paradoxe d'un voilé / dévoilé, qui conduit les partisans des « mystères de l'État » – Richelieu et ses gens de plume – à se lancer dans un appel systématique au public pour justifier les raisons qui font agir le Prince. Et, remarque toujours Marcel Gauchet, « le paradoxe est à son comble quand on entreprend de convaincre ledit public qu'il n'a pas à connaître de ce à propos de quoi on le convoque. » Les « mystères de l'État » sont de faux mystères, dont le secret « n'est pas seulement fait pour être décrypté du dehors » par les bons esprits, mais « est fait pour être divulgué du dedans » [5] par les diverses plumes du pouvoir, dans le but de faire savoir – c'est l'information – ou de faire croire – il s'agit alors de propagande. Information et propagande n'étant alors pas bien loin l'une de l'autre.
S'il est admis que de tels « mystères » puissent être pénétrés par les « beaux esprits », il est peu convenable, voire interdit, d'en débattre en « public ». Renaudot le note, alors qu'il vante le « divertissement honnête » des Conférences réunies à Paris tous les lundis, à partir de l'automne 1632, dans la « grande salle du Bureau d'adresse » de la maison du Grand Coq, rue de la Calandre. [6] Ces Conférences sont un véritable espace public, une « assemblée » – Renaudot emploie trois fois ce mot – où des « milliers de personnes d'honneur » [7], soit peut-être quarante ou cinquante chaque semaine, viennent exprimer leur « opinion », raisonner sur des « questions de physique et de morale » :
L'innocence de cet exercice est surtout remarquable : car la médisance n'en est pas seulement bannie, mais de peur d'irriter les esprits aisés à échauffer sur le fait de la religion, on renvoie en Sorbonne tout ce qui la concerne. Les mystères des affaires d'État tenant de la nature des choses divines, desquelles ceux-là parlent le mieux qui parlent le moins, nous en faisons le renvoi au Conseil, d'où elles procèdent. Tout le reste se présente ici à vous pour servir d'une spacieuse carrière à vos esprits. [8]
Si la religion et les « mystères des affaires d'État » sont bannis des Conférences, « tout le reste » est accessible au « jugement » de ce « public », réuni en « un lieu dont l'accès est libre à tout le monde ». [9] Il n'y a pas vraiment discussion, puisque chaque intervenant donne à son tour un « avis » sur la question proposée à l'examen de tous. Renaudot insiste beaucoup sur la grande « diversité » de tous ces avis, de toutes ces « opinions », et sur « cette liberté publique donnée à tout homme d'honneur, de se produire et dire ce qu'il pense en ces Conférences réglées dans les bornes qu'elles se sont elles-mêmes prescrites ». [10] Premier essai de « sphère publique bourgeoise », alors que domine encore une « sphère publique structurée par la représentation », pour reprendre les expressions et les analyses de Jürgen Habermas [11], les Conférences du Bureau d'adresse ne sont pas l'une de ces réunions d'hommes de culture ou de savants, restées dans la sphère privée comme le cabinet Dupuy ou le cercle Mersenne, ni non plus ces assemblées de salon des précieux et précieuses : on n'y converse pas, on s'y contente d'émettre des opinions sans les opposer dans la véhémence de la discussion. Les participants font un usage public de leur raison, mais restent cachés vis-à -vis de l'extérieur, puisque leur nom n'est jamais publié : les avis entrent dans le domaine public – ils sont émis en public, puis publiés dans la feuille hebdomadaire des Conférences –, les personnes restent dans une sphère privée garantie par l'anonymat. [12] « Avis », « opinion », « public », ces mots reviennent dix, cinq, huit fois. Renaudot évoque aussi le « bien public », la « liberté publique », la « faveur publique ». Est-ce à dire qu'il pouvait alors exister une « opinion publique » ?
« Public » et « voix publique »
Christian Jouhaud en doute, « pour peu qu'on veuille donner une définition rigoureuse de cette notion ». On parlait alors « tout au plus de “bruit commun†». Les lieux de la discussion active, ceux dans lesquels on « opine », ne sont pas publics. Et, quant à ceux où se tenaient des discussions publiques, on ne saurait leur reconnaître la capacité de transformer des « bruits » en opinions. Une opinion publique qui n'aurait pas conscience de son existence, cela peut-il exister ? [13] Il existe certes un « public », celui des représentations théâtrales. Ce « public », réunissant des hommes et des femmes de toutes conditions, n'est constitué que par le spectacle. Il est souvent manipulé par ce qu'on lui donne à voir, à savoir ou à croire. Les mazarinades de la Fronde furent lancées par les chefs de parti, afin d'agir politiquement sur le public du « théâtre du monde », un public incapable de comprendre qu'il était manipulé, condamné à la passivité, « agi » et non acteur. Pour qu'il existe une opinion publique, ne faut-il pas que les débats soient transparents, au moins dans les intentions de ceux qui y participent ? [14]
N'est-ce pas faire un peu l'histoire de l'avant à partir de l'après ? Et décider que l'opinion publique s'étant épanouie au XVIIIe siècle – alors que l'expression est employée et que se constitue le « tribunal de l'opinion publique », ce nouveau principe d'autorité émergé des conflits politiques et religieux des années 1750 –, [15] elle ne pouvait exister avant le règne du Grand Roi ? Les historiens du Moyen à ‚ge n'hésitent pas à reconnaître sa présence au temps des rois Valois. Raymond Cazelles découvre « l'opinion publique et ses préoccupations » sous Jean le Bon et Charles V. [16] Et Bernard Guenée veut voir dans l'extrême attention du chroniqueur du règne de Charles VI aux opinions des individus mais aussi des groupes sociaux qui peuplaient Paris, la présence d'une véritable « opinion publique », voire même de réelles « campagnes de propagande », même s'il convient volontiers que les deux expressions n'existent pas alors dans la langue. Le chroniqueur de Saint-Denis se méfie de la « vulgalis oppinio » – ce que pense le peuple. En revanche, il approuve fort le « circumspectorum judicio », le jugement, l'opinion des sages, ces gens qui participent au Conseil du roi et assurent la bonne marche de l'État. [17]
Étudiant l'évolution du public de théâtre au XVIIe siècle, Hélène Merlin préfère mettre de côté la succession des « sphères publiques » habermassiennes. [18] Bénéficiant ainsi d'une « espèce d'amnésie », elle se livre à une « archéologie de la notion de public ». Résumons ses observations, sans trop les biaiser. Au début du XVIe siècle, le « public » est un corps mystique, hiérarchisé, réunissant le peuple et le roi. Les processions bien ordonnées, où chacun est à sa place, manifestent l'existence de ce corps politique. Les guerres de religion le déchirent, le roi devient lui-même « partie » et ne peut plus l'incarner. Le « public » n'est plus que la collusion des intérêts particuliers et de la passion collective ; il est devenu mémoire nostalgique d'un ordre révolu. La crise prend fin sur l'affirmation de la raison d'État, un État dont les particuliers ne sont plus le corps mystique. Par une véritable scission du public et du particulier, l'État se réserve la scène publique où il agit et se met en représentation, où il interdit tout débat politique, tout en laissant les « particuliers » libres de tout jugement, dans la seule sphère privée de leurs cabinets. Cette répartition des rôles entre for externe et for interne empêcherait toute expression publique des opinions particulières ; il ne pourrait exister d'« opinion publique ». Même cantonnés dans le secret de leurs cabinets, les particuliers ne peuvent s'empêcher d'opiner sur la conduite de l'État, ainsi que le note un contemporain, Jean-Pierre Camus, en un texte publié en 1630. Dans la bibliothèque d'un riche particulier, quelques amis discutent de belles-lettres pour « détourner leurs esprits » des affaires du temps. Mais rien n'y fait, le siège de La Rochelle ne peut s'éloigner de leurs préoccupations :
Les pauses et les intermèdes étaient les nouvelles du monde qui donnaient encore lieu aux divers jugements, chacun prenant part aux intérêts du public comme faisant partie du tout et un des membres du corps de la République. C'est une passion si générale et si commune que même les plus stupides esprits en sont touchés, et ceux qui ont renoncé à toutes les prétentions et les vanités due siècle se laissent encore aller au branle et mouvement de l'État, comme étant embarqués dans un vaisseau où, bien que chacun ne gouverne pas, chacun pourtant a soin de sa bonne conduite et a sujet d'en appréhender le débris et le naufrage. [19]
On ne peut mieux dire que la politique du Roi et du Cardinal était l'objet de jugements divers, voire de débats passionnés. Certes ces opinions s'opposent dans le confort d'une bibliothèque particulière, dans le secret d'un espace privé. Mais tous ces débats privés auxquels participent les élites socioculturelles, ne finissent-ils pas par former telle ou telle opinion commune, tel ou tel mouvement d'opinion ? Ne peuvent-ils pas déborder dans l'espace public ?
Il est inutile de revenir ici sur « la gestion, grâce aux lettres de la scission du public et des particuliers », ni sur le refoulement du débat politique dans la réflexion littéraire. En revanche, il est impossible de passer sous silence la querelle du Cid, qui s'épanouit dans « un espace encore intermédiaire entre public et particulier », en un moment où rien n'est encore figé par la victoire définitive de l'absolutisme. [20] La querelle dure environ un an, et débute en février 1637, peu de temps après la représentation du Cid, qui fut un grand succès. Cette guerre de pamphlets, publiés et distribués dans l'espace public de la ville, oppose Scudéry et ses amis à Corneille et à ses partisans, cependant qu'un tiers parti compte les coups et distribue blâmes ou éloges. Comme la Gazette, les diverses brochures sont diffusées par des « crieurs », dont les « voix éclatantes devraient être seulement employées à publier les volontés du Prince et les actions des grands hommes. » [21] L'une des feuilles du tiers parti affecte d'être scandalisée par une telle confusion des genres :
M'étant de fortune trouvé devant l'horloge du Palais, où un vendeur de denrée criait à gorge déployée l'accommodement du Cid ; un honnête homme assez âgé ayant entendu l'accommodement de notre Sire, et croyant que c'était quelque affaire d'État, le voulut acheter, mais ne pouvant seulement comprendre le mot Cid, le crieur le reprit. [22]
Cette querelle de particuliers envahit l'espace public. Scudéry sort du silence du cabinet pour se faire le porte-parole de la « cause commune » de la république des lettres. Écartant les applaudissements d'un « peuple qui porte le jugement dans les yeux », il en appelle au « jugement » des « honnêtes gens ». L'autorité rationnelle du cabinet s'oppose à l'acclamation populaire du théâtre, revendiquée par Corneille. Les arguments des uns et des autres visent à se ruiner mutuellement, dans un espace public pris à témoin. Et Hélène Merlin d'observer que « le public n'est d'abord, rien ni personne que cet espace de manifestation et cet horizon d'autorité, allégué comme argument sous différentes figures par les uns et par les autres, et surtout investi (ursurpé ?) pratiquement par les uns et par les autres à égalité. » [23] N'est-ce pas ce qu'on pourra appeler bien plus tard l'opinion publique ? On peut d'autant mieux s'en persuader que les combattants invoquent l'autorité de la « voix publique ». L'une des pièces favorables à Corneille, La voix publique à Monsieur de Scudéry, suggère à ce dernier : « Suivez le conseil de la voix publique qui vous impose silence. » Aussitôt, une feuille du tiers parti se prétend « la véritable voix publique » et enjoint aux uns et aux autres de cesser les hostilités. Ainsi s'énonce une « opinion commune ». [24]
Les « jugements » et les « censures » des lecteurs de la Gazette
Comme le suggèrent ces quelques pièces de la querelle, la Gazette s'insère dans la sphère publique. Ne publie-t-elle pas les « volontés du Prince et les actions des grands hommes », grâce aux colporteurs qui la crient dans l'espace public de la rue ? À lire ses préfaces, il apparaît que Renaudot a parfaitement saisi la scission public/particulier. Par deux fois, il juxtapose les deux termes. Il évoque le corps politique, ce « public » bénéficiant du service de gazettes empêchant « plusieurs faux bruits qui servent souvent d'allumettes aux mouvements et séditions intestines », cependant que les « particuliers » s'organisent selon le « modèle du temps », le marchand évitant les pays en guerre, alors que les soldats tout au contraire les recherchent (Préface de 1631). Une autre fois, il mentionne les « particuliers », mais c'est pour observer qu'ils lui envoient « des mémoires partiaux et passionnés », alors qu'il préfère, lui, « le service du public » à sa peine et à sa dépense (Relation de janvier 1633). Opposition éclairante : le particulier ne peut qu'être mû par la sauvegarde de ses propres intérêts et de ses passions politiques, alors que la Gazette se situe dans l'au-delà du bien commun, du bien public, de la sphère politique d'État. Deux autres expressions renvoient encore à l'espace politique : le « bien public » que doivent servir les éventuels correspondants appelés à collaborer à la Gazette, « la plus grande commodité publique » qui justifie les « quatre feuillets » de l'hebdomadaire. [25] Si Renaudot ne parle jamais ailleurs des « particuliers », il est plus bavard à propos du « public », mentionné encore sept fois [26] : il s'agit alors, sans équivoque aucune, de l'ensemble de ses lecteurs. Comme le théâtre, la Gazette a un « public », impatient et curieux, qu'il faut satisfaire en lui donnant les nouvelles les plus « véritables », le plus rapidement possible.
Dans ce « public » indifférencié, Renaudot ne s'adresse pas plus particulièrement à la noblesse, au monde parlementaire, à la petite robe des clercs de justice ou d'Église. Il affecte de conduire un dialogue singulier et personnel avec son lecteur – « mon lecteur » –, six fois convoqué en témoin de tous ses efforts pour le contenter. [27] Ce lecteur inconnu, mais infiniment présent, est très réactif. En toute liberté, il est capable de juger et de censurer :
Mais non, je me trompe estimant par mes remontrances tenir la bride à votre censure. [28] Je ne le puis, et si je le pouvais (mon lecteur) je ne le dois pas faire : cette liberté de reprendre n'étant pas le moindre plaisir de ce genre de lecture, et votre plaisir et divertissement comme j'ai dit, étant l'une des causes pour lesquelles cette nouveauté a été inventée. Jouissez donc à votre aise de cette liberté française. Et que chacun dise hardiment qu'il eût ôté ceci, ou changé cela, qu'il aurait bien mieux fait : je le confesse. (Préface de 1631)Bref qu'il n'y ait si petit clerc qui ne se croie mieux fourni que moi de jugement au choix, et de promptitude en la disposition de ces nouvelles. Le désir que j'ai de vous plaire, mon lecteur, fera que je vous en passerai plutôt condamnation, que d'interrompre par une contestation importune le cours de notre liberté française, à juger de tout à notre mode. (Relation de février 1632)Comme les jugements des hommes sont divers, il est croyable que plusieurs au contraire loueront en mes Relations cette naà ¯veté, et leur tourneront à gloire la liberté qu'elles prennent de se dédire quand le cas y échet. (Relation de mars 1632)Je laisse donc ces objections gaillardes pour remettre la censure de ce que je dis au jugement de ceux qui prendront la peine de le conférer avec les mémoires qu'ils reçoivent des lieux mêmes. (Relation d'avril 1632)Que les autres soutiennent au contraire que je n'y dois rien ajouter du mien, mais déduire simplement les choses en la même naà ¯veté qu'elles me sont écrites, afin de laisser le jugement libre à un chacun de la grossière erreur de ce marchand, du bon raisonnement de cet homme d'État, de l'ingénuité de cettui-ci, de la factieuse partialité de cettui-là ; n'y ayant rien dans cette grande variété, dont quelque chose ne puisse plaire.(Relation de décembre 1632)
Autant de lecteurs, autant de « jugements » qui conduisent à la « censure », c'est-à -dire à une appréciation critique du contenu de la Gazette. Renaudot emploie huit et sept fois [29] ces termes de « jugement » et de « censure », mais il n'utilise qu'une fois celui d'« opinion », alors qu'il est clair que le jugement conduit à une opinion qui s'exprime par la censure. Il s'étonne que l'un de ses confrères, le gazetier d'Anvers, puisse déplorer que les correspondants de la Gazette « qui écrivent de tous les endroits du monde ne s'accordent pas » et remarque : « Il y aurait bien plus d'apparence d'imposture en ceux qui feraient cadrer tant de nations, d'intérêts et d'opinions ensemble. » (Relation d'avril 1632)
Renaudot est peu soucieux d'exprimer dans quel espace ses lecteurs jugent sa Gazette, probablement parce qu'il lui est difficile de dire que l'on en juge en public, dans la rue, sur les places ou ailleurs. La lecture est souvent collective, ainsi qu'il le suggère à propos de la distribution de sa gazette en deux « cahiers » :
J'avais fait sans la curiosité de quelques-uns, qui voyant le partage que je fais de mes récits en la Gazette et ès Nouvelles ordinaires, bien que la signification des mots soit pareille, en ont désiré la raison, fondée non seulement sur la commodité de la lecture, qui est plus facile à diverses personnes, étant en deux cahiers dont le sens est parfait, que si les uns étaient obligés d'entendre ou d'attendre les autres ; et moins ennuyeuse étant distinguée comme en chapitres, outre les sections et articles.(Relation d'août 1632)
Jamais il ne parle de la lecture dans le « cabinet » d'un particulier. Ce dernier terme n'est employé qu'une fois, en manière de métaphore :
Comme ceux qui veulent bien ordonner les tableaux d'un cabinet, entrelacent de paysages et autres divertissements, les déluges, les embrasements, les sièges et les batailles : cette diversité récréant davantage la vue. Je propose à la vôtre pour entremets et pour tempérer l'humeur austère qu'entretient le récit des guerres, celui des noces solennisées avec trop d'applaudissement des présents, pour ne faire point part aux absents d'une telle réjouissance.(Extraordinaire du 30 novembre 1634)
En revanche, par deux fois, le gazetier évoque les « compagnies », qui « s'entretiennent » pour « conserver la mémoire » des grandes actions du roi (Adresse au roi, 1631) ou qui se divertissent du contenu des gazettes :
Encore que le seul contentement que leur variété produit ainsi fréquemment, et qui sert d'un [si] agréable divertissement ès compagnies qu'elle empêche les médisances et autres vices que l'oisiveté produit, dût suffire pour les rendre recommandables.(Préface de 1631)
Dans son contenu et dans sa distribution, la Gazette est tout entière insérée dans l'espace public, elle s'adresse au corps politique. N'est-elle pas lue par le Roi et le Cardinal, n'est-elle pas souvent rédigée par le Roi lui-même ? [30] En revanche, sa lecture, jamais indifférente, concerne tout autant la sphère publique que l'espace privé du lecteur particulier – peu évoqué – ou semi-privé des lecteurs réunis en « compagnies » ou dans tous autres groupes de lecture. Particulière ou publique, la lecture de la Gazette conduit à se forger un « jugement », à émettre une « censure » sur le travail du gazetier, mais aussi sur les actions des rois et des princes. À partir de là se constitue la « voix publique », deux fois mentionnée :
C'est de quoi je vous entretiendrai pour l'heure, puisque le temps a dû suffisamment informer un chacun de la fin de ces miennes Relations de chacun mois, qui servent de lumière et d'abrégé à celles des semaines : et que les suffrages de la voix publique m'épargnent désormais la peine de répondre aux objections, auxquelles l'introduction que j'ai faite en France des Gazettes donnait lieu lorsqu'elle était encore nouvelle. (Relation de janvier 1633)Mon travail s'adoucit avec les esprits de ceux qui me lisent. Et comme je le sentais grief, tandis que sa nouveauté l'exposait à autant de censures que de sentiments et de sentiments que de têtes, je confesse qu'il m'est à présent supportable depuis que la voix publique me reconnaît dénué de toute autre passion que de celle de l'ingénuité, et me prend pour le rapporteur et non pour la partie.(Relation d'avril 1633)
La « voix publique » n'est-elle pas le fruit des jugements et des sentiments, des censures aussi nombreux qu'il y a de « têtes » ? [31] N'est-ce pas déjà l'« opinion publique » ? Si Renaudot emploie très rarement le mot « opinion », il connaît déjà très exactement les effets de ces « jugements » individuels qui s'additionnant collectivement, finissent par contribuer à la formation de la « voix publique », une expression présente dans la querelle du Cid.
Cette querelle prouve combien il était encore malaisé à la monarchie de faire complètement prévaloir ses vues. S'efforçant de monopoliser l'action politique en interdisant tout débat dans la sphère publique, confinant dans la sphère privée du secret des cabinets la liberté de jugement des particuliers, le Roi et le Cardinal ne sont pas encore parvenus à réduire au silence la « voix publique » ou l'« opinion commune ». C'est ce qui légitime les campagnes pamphlétaires de la régence de Marie de Médicis ou plus tard les efforts de propagande du cardinal de Richelieu, c'est enfin ce qui explique le lancement de la Gazette. Pourquoi tant d'efforts de propagande ou d'information, s'il n'existe pas une ou des opinions, des « jugements » et des « censures » à convaincre ou informer ? Par la suite, l'État absolutiste affirma sa domination. Au temps du Roi-Soleil, au moins jusqu'à la crise de la bulle Unigenitus, tous ces libelles politiques disparurent et la Gazette, tout entière consacrée à la célébration de la gloire royale, devint bien insipide, désormais rédigée dans une langue belle et lisse, pour mieux faire oublier une certaine vacuité de son contenu.
Jugement, censure » ou « opinion », « voix publique », « opinion commune » ou « opinion publique », est-il utile de continuer ces querelles de mots ? Hélène Duccini estime qu'il exista bien une « opinion publique » pendant la crise des années 1614-1617 qui déboucha sur l'assassinat de Concini. Dénombrant les 1 107 pamphlets et libelles publiés pendant la régence de Marie de Médicis, elle remarque : « Il existe donc une opinion publique ou plutôt un milieu culturel réceptif au débat politique, qui polémique sur les options du pouvoir. » La même expression d'« opinion publique » revient sous sa plume à propos du « voyage de propagande » du jeune Louis XIII dans l'Ouest, pendant l'été 1614. [32] De son côté, J. Sawyer observe qu'il existait alors en France « une sphère largement accessible de communications publiques de tournure politique ». [33] Les guerres de plume entourant le « grand orage » de 1630 ne prouvent-elles pas l'existence d'une opinion qu'il fallait persuader de la justesse ou de l'injustice des choix politiques du Roi et du Cardinal ? Ne peut-on penser que le monde parlementaire et les familles, nobles ou non qui lui étaient alliées, étaient alors le lieu d'une véritable opinion publique ? [34] Les lettres d'Henri Arnauld, abbé de Saint-Nicolas, à l'épouse du président Barillon, alors exilé de Paris, montrent que dans les cercles de leurs connaissances, les « spéculatifs » et autres esprits « déliés » ne se gênaient pas pour débattre de politique, pour émettre des opinions sur les « affaires du temps ». Arnauld lui-même était tout prêt à commenter certains grands événements, mais il n'était pas prudent d'écrire ce qui aurait pu être lu par d'autres personnes que ses amis – « Il y a longtemps qu'il n'est rien arrivé de si considérable et il y aurait sur cela beaucoup de réflexions à faire, mais une lettre ne les souffre pas, il se faudrait entretenir. » (10 juillet 1641). [35] En définitive, de la domination des esprits par un pouvoir de plus en plus impérieux, et du manque de l'expression « opinion publique », on ne peut déduire son absence, ni son défaut d'autonomie, en ces premières décennies du XVIIe siècle.
[1] Voir notre précédent article, « Aux origines de l'éthique des journalistes : Théophraste Renaudot et ses premiers discours éditoriaux (1631-1633). »
[2] B. Guenée, L'opinion publique à la fin du Moyen à ‚ge, d'après la « Chronique de Charles VI » du Religieux de Saint-Denis, Paris, Perrin, 2002, p. 141 et 172 ; le chroniqueur relit en fin d'année ce qu'il a écrit du mouvement cabochien quelques mois auparavant et il note : « Au moment où j'écrivais ceci, j'ignorais complètement où allaient nous mener les initiatives de l'Université et des bourgeois. Mais, dès ce moment-là , j'ai entendu plusieurs personnes sages, sérieuses et pondérées juger tout à fait inadmissible que ces gens-là osassent se mêler d'affaires aussi difficiles qui ne devaient être traitées que dans les conseils secrets du roi par les princes des lis. Il est absurde, disaient-ils, que des gens noyés dans les livres et la méditation, et des marchands avides de gains, et des artisans prétendent gouverner le royaume et soumettre à leurs lois la magnificence des princes et l'état du roi. » (trad. du latin par B. Guenée).
[3] Nous suivons ici les analyses de Marcel Gauchet, « L'État au miroir de la raison d'État : la France et la chrétienté », Raison et déraison d'État. Théoriciens et théories de la raison d'État aux XVIe et XVIIe siècles, Y. C. Zarka, dir., Paris, PUF, 1994, p. 193-244, note p. 198-215 ; D. Crouzet, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (vers 1525-vers 1610), Seyssel, Champ Vallon, 1990.
[4] H. de Rohan, De l'intérest des princes et des Estats de la chrétienté, Paris, 1638, p. 1 (l'ouvrage a été écrit en 1634) ; extrait cité par Marcel Gauchet, « L'État au miroir de la raison d'État : la France et la chrétienté », op. cit., p. 218.
[5] Pour toutes les citations de ce passage, voir Marcel Gauchet, ibid., p. 235, 237, 241, 242. À propos du voilé / dévoilé, lire aussi Joà « l Cornette, « “Deux Soleils en la France†. L'événement dans la théorie de l'État royal au temps de Pierre de Bérulle et de Gabriel Naudé », Axes et méthodes de l'histoire politique, S. Berstein et P. Milza, dir., Paris, PUF, 1998, p. 163-200. Sur ce qu'il appelle l'« inconséquence des étatistes », lire les remarques d'Étienne Thuau, Raison d'État et pensée politique à l'époque de Richelieu, Paris, Armand Colin, 1966, p. 390.
[6] Outre G. Feyel, L'Annonce et la nouvelle. La presse d'information en France sous l'Ancien Régime (1630-1788), Oxford, Voltaire Foundation, 2000, p. 78-130, lire S. Mazauric, Savoirs et philosophie à Paris dans la première moitié du XVIIe siècle. Les conférences du bureau d'adresse de Théophraste Renaudot (1633-1642), Paris, Publications de la Sorbonne, 1997. Ouvertes à l'automne 1632, les Conférences sont l'objet d'une feuille publiée chaque semaine à partir du 22 août 1633. Renaudot en publie un premier recueil, ou « centurie », parce que cent questions ont été traitées pendant les cinquante Conférences tenues jusqu'au 31 juillet 1634. Sont ensuite éditées trois autres « Centuries ». La cinquième est incomplète.
[7] Deuxième Centurie. Ouverture des Conférences. 50 personnes pour chacune des 50 Conférences, cela donne un total de 2 500 participants.
[8] Première Centurie. Préface sur les Conférences. Renaudot s'est longuement expliqué à propos des Conférences. La première « centurie » présente une Dédicace au cardinal de Richelieu datée du 18 août 1634, un Avis au lecteur rédigé en ce même mois d'août, enfin une Préface sur les Conférences, publiée avec le premier numéro imprimé des Conférences, le 22 août 1633, mais remaniée, au moins sur sa fin, en août 1634. La deuxième « centurie » est précédée d'un quatrième texte, l'Ouverture des Conférences, daté du 3 novembre 1634.
[9] Première Centurie. Avis au lecteur. « Quelques-uns ont aussi trouvé à dire qu'on n'y admettait point toutes sortes de personnes, comme il semblait se devoir faire, en un lieu dont l'accès est libre à tout le monde. Mais ceux qui considéreront que les Académies ne sont pas pour le vulgaire ne trouveront pas étrange qu'on y ait apporté quelque distinction. Et si toutes les personnes de la qualité requise n'y ont pu trouver place, les plus diligents peuvent témoigner aux autres qu'il l'a fallu imputer au lieu, lequel, tout spacieux qu'il est, ne pouvait suffire à tous les survenants. Tant y a que n'y ayant trouvé, et n'en espérant autre intérêt que celui de profiter au public, l'incommodité de ceux qui ont été souvent contraints de s'en retourner ne me peut être imputée. »
[10] Deuxième Centurie. Ouverture des Conférences. Renaudot attribue cette liberté à « la généreuse façon d'agir de ceux qui gouvernent, diamétralement opposée à l'esclavage tyrannique de quelques autres. »
[11] J. Habermas, L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. française, Paris, Payot, 1978 ; Habermas distingue une « sphère publique structurée par la représentation », où la noblesse est la mesure de tout, couvrant le Moyen à ‚ge, la Renaissance et une grande partie de l'âge « classique » et coexistant avec une « sphère publique bourgeoise » progressivement constituée à partir de la fin du XVIIe siècle, grâce à l'autonomisation d'une « sphère publique littéraire » où s'épanouit une certaine liberté d'opinion, fondement de l'opinion publique.
[12] Renaudot justifie ainsi cette prudence : « Plusieurs pour laisser libre à un chacun le jugement de leurs opinions, que la connaissance des personnes préoccupe volontiers : d'autres pour essayer à couvert quel sentiment le public avait d'eux. [...] Mais tous par une modestie autant louable à leur regard, qu'injurieuse au public. » (Première Centurie. Avis au lecteur)
[13] C. Jouhaud, Mazarinades : la Fronde des mots, Paris, Aubier, 1985, p. 240-241.
[14] C. Jouhaud, « Propagande et action au temps de la Fronde », Culture et idéologie dans la genèse de l'État moderne, École Française de Rome, Palais Farnèse, 1985, p. 337-352, not. p. 337-342 ; R. Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Le Seuil, 1990, p. 32-52.
[15] Lire à ce sujet K. M. Baker, Au tribunal de l'opinion. Essais sur l'imaginaire politique au XVIIIe siècle, Paris, Payot, 1993, notamment, le chap. VI, p. 219-265, « L'opinion publique comme invention politique » ; lire aussi M. Ozouf, L'homme régénéré. Essais sur la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989, « Le concept d'opinion publique au XVIIIe siècle », p. 21-53.
[16] R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Paris et Genève, Droz, 1982.
[17] B. Guenée, L'opinion publique à la fin du Moyen à ‚ge, op. cit., p. 108 et 154 ; voir aussi C. Gauvard, « Le roi de France et l'opinion publique à l'époque de Charles VI », Culture et idéologie dans la genèse de l'État moderne, op. cit., p. 353-366. À ce Congrès de Rome de 1984, les historiens médiévistes et modernistes se sont opposés à propos de l'opinion publique, les premiers reprochant aux seconds d'« enfermer les choses dans la muraille des mots » ; voir les remarques de Michèle Fogel, Les cérémonies de l'information dans la France du XVI au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1989, p. 12-13, et sa communication au même colloque, « Propagande, communication, publication : points de vue et demande d'enquête pour la France des XVI-XVIIe siècles », Culture et idéologie dans la genèse de l'État moderne, op. cit., p. 325-336.
[18] H. Merlin, Public et littérature en France au XVIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1994, introduction, p. 24-32.
[19] Ibid., p. 110-111, extrait de J.-P. Camus, Conférence académique sur le différend des belles-lettres de Narcisse et de Phyllarque, par le sieur de Mussac, Paris, Joseph Cottereau, 1630, p. 20.
[20] Ibid., p. 150-151.
[21] Ibid., p. 201, extrait de la Lettre du sieur Claveret au sieur Corneille, soi-disant auteur du Cid : « Songez que votre apologie fait autant de bruit dans les rues que la gazette, que les voix éclatantes de ces crieurs devraient être seulement employées à publier les volontés du Prince et les actions des grands hommes. »
[22] Ibid., p. 201, extrait de La victoire du sieur Corneille, Scudéry et Claveret, avec une remontrance par laquelle on les prie instamment de n'exposer ainsi leur renommée à la risée publique.
[23] Ibid., p. 202.
[24] Ibid., p. 204-210 ; le terme est employé deux ans plus tôt par Scudéry, dans l'épître dédicatoire de sa pièce Le Trompeur puni, à Mme de Combalet, la nièce de Richelieu : « Je ne me laisse point emporter à l'opinion commune, et quelque applaudissement universel qu'ait rencontré ce poème, peu s'en faut que je ne le méprise, parce que je crains que vous ne l'estimiez pas. », ibid., p. 174.
[25] Relations de septembre 1632 (le « bien public ») et d'octobre 1633 (la « commodité publique »).
[26] Préface de 1631, Relation de février 1632, Relation envoyée au roi (septembre 1632), Nouvelles ordinaires, 24 septembre 1632 (supplément), Relation de septembre 1632, Relation de mars 1633, Extraordinaire du 29 décembre 1634).
[27] Préface de 1631 (trois occurrences), Relations de février et de décembre 1632 (deux et une).
[28] C'est nous qui soulignons les termes mis en italiques.
[29] « Jugement » : Relations de janvier, février (deux fois), mars, avril, décembre 1632 (deux fois), décembre 1633 ; « censure » : Préface de 1631, Relations d'avril, mai, septembre, décembre 1632, avril 1633, Extraordinaire du 29 décembre 1634.
[30] G. Feyel, L'Annonce et la nouvelle, op. cit., p. 172-177.
[31] On distinguera cette « voix publique » de la « renommée », évoquée une fois par Renaudot à la suite de Virgile (Relation d'août 1632). Une « renommée » qui donne la « gloire » aux actions des princes, aussi bien qu'à celles des héros de Corneille.
[32] H. Duccini, Concini. Grandeur et misère du favori de Marie de Médicis, Paris, Albin Michel, 1991, p. 142 et 159.
[33] J. Sawyer, Printed Poison. Pamphlet Propaganda and the Public Sphere in Early Seventeenth France, Berkeley, 1990, p. 10 ; citation faite par Marcel Gauchet, « L'État au miroir de la raison d'État : la France et la chrétienté », Raison et déraison d'État. Théoriciens et théories de la raison d'État aux XVIe et XVIIe siècles, Y. C. Zarka, dir., Paris, PUF, 1994, p. 193-244, plus précisément p. 238 ; lire aussi Annie Duprat, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Paris, Belin, 2002, p. 10-16, 124-126.
[34] Dans son discours de réception à l'Académie française, Malesherbes situe l'origine du « tribunal du public », « cette révolution qui s'est faite dans nos mœurs », dans ces années 1630, qui virent la fondation de l'Académie ; voir C.-G. Lamoignon de Malesherbes, Discours prononcé dans l'Académie française le 16 février 1775, Paris, 1775, mentionné par Mona Ozouf, op. cit., p. 29.
[35] G. Feyel, « “Je suis tout à Bonne et embrasse l'amy.†Lettres de l'abbé de Saint-Nicolas à la présidente de Chastillon », Correspondre jadis et naguère, 120e Congrès national des sociétés savantes, Aix-en-Provence, 1995, Section d'histoire moderne et contemporaine, Paris, 1997, p. 569-586 ; notons qu'Henri Arnauld se fait l'écho du moindre « bruit » courant Paris, « on tient dans le bruit de Paris que… » et qu'il emploie lui aussi l'expression « opinion commune », « l'opinion commune est que… », p. 583.