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05 - Shoah et génocides. Médias, mémoire, histoire

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Recherche-Actualités

Le Temps des médias n°5, automne 2005, p.207-216

Colloques

Media History and History in the Media (Histoire des médias et histoire dans les médias)

Toutes les occasions d'évoquer l'histoire des médias sont les bienvenues. En tant qu'ère de recherche émergente, ses spécialistes sont répartis dans différentes disciplines ; c'est pourquoi il est particulièrement utile d'organiser des rencontres de chercheurs et de professionnels pour échanger des idées et de l'information concernant des domaines de recherche très liés. Le titre même du colloque organisé au Pays de Galles (University of Wales, Gregynog), du 31 mars au 1er avril exprime une certaine ambiguà¯té ou, pour le moins, une formulation qui, en particulier dans le domaine de l'histoire conventionnelle, a provoqué quelques confusions. Au cours de ce colloque, les deux notions furent abordées avec une admirable cohérence et les deux sessions réparties sur deux jours, parvinrent à explorer clairement chaque concept dans leurs relations. L'Université du Pays de Galles est devenue une des plus actives institutions en Grande-Bretagne dans le domaine de l'histoire des médias et son nouveau Centre pour l'histoire des médias a montré la réalité spécifique de ce domaine et l'intérêt de ces recherches qui permettent la rencontre de l'histoire, des sciences sociales et des études littéraires.

La rencontre a également permis de présenter le travail de la revue Media History. Cette publication qui a de nombreux liens personnels et intellectuels avec Le Temps des Médias, existe sous une forme ou sous une autre depuis 1984. Le professeur O'Malley, comme co-rédacteur de la revue et co-organisateur de la rencontre, fait partie de ces chercheurs dont le travail contribue à redéfinir la relation complexe entre communication et culture.

Le colloque était très riche et 60 chercheurs de divers pays, représentant des institutions de toute l'Europe, ont contribué à un programme notamment articulé autour des thèmes : « Nouvelles approches des sources pour l'histoire des médias », « Débats médiatiques sur l'histoire nationale », « Représentations de l'histoire nationale ».

J'ai eu personnellement le plaisir de diriger une session intitulée « Dirigeants et héros » au cours de laquelle les analyses de la couverture médiatique comparée de Napoléon Bonaparte (Isabelle Veyrat-Masson, Paris), celle de Léopold II (Nathalie Toussignant, Bruxelles) et de Staline (Judith Devlin, Dublin) ont apporté une analyse précise et innovante. Parmi d'autres interventions marquantes, citons celle de John Eldridge (Glasgow) réfléchissant sur la théorie de l'histoire des médias et, clairement pour d'autres raisons, celle de Mark Fielder (BBC) sur la fabrication de l'histoire télévisée, vue du côté du producteur. Dans ce dernier cas, l'extraordinaire pouvoir corrupteur de la recherche d'audience a bien été décrit par la description très intelligente de son activité par un professionnel des médias.

L'histoire des médias est un domaine en plein essor. L'intérêt pour ce thème devient de plus en plus répandu et de plus en plus riche. Nous devons néanmoins continuer à le promouvoir et plus nombreux les événements comme ce colloque du Pays de Galles seront organisés, le mieux ce sera pour la future compréhension du passé.

Michael Harris

Les médias et la Libération en Europe (1945-2005)

Les 14, 15 et 16 avril 2005, s'est déroulé à Paris un intéressant colloque organisé par le Centre d'histoire culturelle des sociétés contemporaines (Université de Versailles-Saint Quentin-en-Yvelines) et l'Institut National de l'Audiovisuel, avec la participation de la Société pour l'Histoire des Médias. Intéressant, d'abord par la variété des communications : une trentaine, traitant d'une dizaine de pays, émanant pour une bonne moitié d'universitaires étrangers : N. Beyens (Pays-Bas), A. Clavien (Suisse), O. Elyada (Israà« l), L. Flitouris (Grèce), H. Footitt (Royaume-Uni), J. Grégoire (Belgique), S. Paul (Canada)… Il s'agissait donc bien d'un colloque international, qui a fait progresser l'histoire comparée. Ensuite par le nombre et la qualité des documents proposés pendant ces trois jours, en particulier grâce à l'INA et à D. Maréchal, chargé de la valorisation du dépôt légal dans cet institut. Aux archives d'époque (photos de presse, reportages-radio, actualités cinématographiques), certaines inédites ou très peu connues, s'ajoutaient des images plus récentes, produites notamment par la télévision au moment de commémorations-anniversaires.

Ce colloque s'est surtout montré riche par la variété des thèmes abordés. Les médias ont d'abord été étudiés comme vecteurs de propagande, démarche moins classique qu'il n'y paraît, car si les historiens se sont intéressés aux médias pendant la guerre pour cerner l'endoctrinement des esprits, ils ont parfois négligé jusqu'ici de le faire pour aborder la Libération. Cette période fait pourtant elle aussi l'objet d'une intense propagande, comme le montrent dès le départ P. Facon à propos des bombardements alliés, M. Favre à partir du discours radiophonique nazi, S. Krapoth pour les dessins satiriques allemands et français ou R. Dickason concernant les affiches anglaises.

La Libération est aussi un temps de reconstruction pour les médias. Quelle place va y occuper l'État ? P. Eveno, grâce à une approche comparative, a tracé le cadre général de cette renaissance : la France adopte alors un régime mixte, la place de l'État dans l'information y faisant l'objet de luttes partisanes aiguà« s, évoquées par H. Eck pour la radio ou les NMPP, et par M. Palmer pour l'AFP. En Italie, en revanche, comme dans la majeure partie de l'Europe, on revient en gros au système antérieur à la guerre, ce qui peut signifier d'ailleurs la conservation de certaines créations fascistes, tel l'institut cinématographique Luce (étudié par D. Felisini et F. Bozzano). Quant à l'Allemagne, elle reconstitue totalement son champ médiatique.

Quel rôle jouent les médias dans l'élaboration d'une mémoire collective ? Cette question centrale posée par le colloque s'avère complexe car, au moment de la Libération, les médias tiennent parfois des discours contradictoires. C'est particulièrement net si l'on étudie les regards croisés que les peuples se portent mutuellement. Les stéréotypes franco-anglo-saxons perdurent, alors qu'on aurait pu les imaginer balayés par le conflit (H. Footitt et A.C. Thollon). Ainsi les Anglais ont-ils l'impression que les Français sous-estiment leurs souffrances pendant les hostilités, alors que les Français de leur côté n'apprécient pas l'image donnée de leur pays par les correspondants de guerre alliés, diserts sur l'élégance des femmes et la gastronomie, beaucoup plus silencieux sur le combat résistant ou les pénuries.

C'est même à l'intérieur d'un État que la mémoire se trouve parfois divisée ; ainsi, en Italie où, comme le montre P. Sorlin, Paysa de Rosselini décrit un pays libéré grâce aux Américains, alors que Jours de gloire, documentaire en partie fictionnel, met au contraire en valeur l'action des partisans. La majorité politique au pouvoir en 1945-1946 souhaite parfois effacer l'un des discours concurrents. C'est le cas de la Grèce après la guerre civile, où le souvenir de la Libération est occulté jusqu'en 1974 par la droite, de peur de légitimer un Parti communiste actif dans la Résistance

Un propos médiatique cohérent peut, par ailleurs, taire certains aspects de la réalité sous l'effet d'une censure imposée, voire inconsciente. Y. Santamaria constate que la mobilisation des « pieds-noirs », beaucoup plus forte proportionnellement que celle des métropolitains, est quelque peu oubliée depuis la guerre d'Algérie. Quant à C. Delporte, se penchant sur l'information française concernant la délivrance des camps de concentration, il repère trois moments : le silence jusqu'à mi-avril 1945 (désir de ne pas affoler les familles, peur de nuire aux déportés encore détenus…) ; puis la libération de la parole entre mi-avril et mi-juin 1945 dans les journaux comme dans les actualités cinématographiques : les horreurs commises dans les camps sont exposées de plus en plus crûment (mais en employant le terme générique de « déporté » et non celui de « juif ») ; enfin, dès mi-juin, l'amorce d'un decrescendo informatif, qui durera de longues années.

Les médias, surtout les images, donnent souvent à l'événement sa puissance de résonance et son sens. En le théâtralisant, ils édifient un socle de souvenirs communs. Comme le montrent C. Urjewicz pour la chute de Berlin, ou F. Audigier pour de Gaulle descendant les Champs-Élysées le 26 août 1944, des images peuvent devenir des icônes ; homogénéisant les représentations, elles risquent de les figer.

Certains intervenants ont également décrit comment la mémoire collective, sur certains points, se forge en tenant compte moins des sources, que des aspirations contemporaines, au risque de frôler l'anachronisme. Ainsi, reconstitue-t-on en France, depuis une dizaine d'années, des « bals de la Libération », suggérant par là que la période a été un grand moment de joie collective et d'unité nationale. Or, les témoignages de l'époque montrent surtout des défilés et des prises d'armes sur fond de musique militaire, un pays qui a besoin de rituels, des foules certes heureuses, mais aussi souvent inquiètes, et guère prêtes à faire la fête spontanément (P. Goetschel et A.M. Granet).

Au risque d'une certaine instrumentalisation de l'histoire, les commémorations (telle celle du débarquement de 1944) et leur retransmission télévisée nous parlent de leur côté, certes du passé, mais aussi du présent, voire du futur, par exemple de l'état des relations franco-allemandes ou de la construction européenne (P. Garcia à propos du 8 mai). Même la muséographie évolue. S. Wahnich, étudiant la Maison des Terreurs et le Parc des statues à Budapest ainsi que le Mémorial de Caen, constate que la Libération de 1945 y est désormais mise en « concurrence » avec d'autres libérations, entre autres avec la chute du mur de Berlin. Le Mémorial, ouvert en 1988, s'est élargi récemment en musée du xxe siècle, désingularisant ainsi la Seconde Guerre mondiale, et pratiquant, lui aussi, une « déshéroà¯sation », puisqu'il met désormais au premier plan les victimes des conflits, tous camps confondus, ainsi que les prix Nobel de la Paix, et non les combattants antinazis.

Dans un bon colloque, on se pose plus de questions en partant qu'en arrivant ! Or la complexité s'est bien trouvée au cœur de la problématique de ces trois journées : multiplicité des sources, des regards, des interprétations et donc des mémoires ultérieures. Certes plusieurs points ont été éclaircis : par exemple la prégnance, dans le traitement par les médias de la Libération, des filtres nationaux. Restent encore beaucoup de chantiers ouverts, comme l'a souligné dans sa conclusion C. Delporte : entre autres s'interroger davantage sur les médiateurs, dont des catégories entières, tels les photographes (évoqués par F. Denoyelle), n'ont pas été touchées par l'épuration ; ou encore sur la réception des messages pour laquelle il faudrait forger de nouveaux outils scientifiques. Le temps passant, la déclassification de certains documents jusqu'ici guère consultables, y aidera ; souhaitons-le.

Cécile-Anne Sibout

« Nos Récits »

Le très joliment nommé CARISM (Centre d'analyse et de recherches interdisciplinaires sur les médias) de l'Université de Paris II a pris l'initiative d'organiser un colloque transdisciplinaire consacré aux récits (10 et 11 mai 2005, Institut Français de presse, Université Paris II Panthéon-Assas). Intitulées Nos récits, temps, images, témoignages, publics ces deux journées qui se sont déroulées dans les locaux de L'Institut français de presse, constituent un de ces événements qui témoignent (s'il en était besoin) de la vitalité de la sémiotique contemporaine et de l'usage idoine qu'en fait cette discipline en plein essor qu'est l'information-communication. Au-delà , l'événement intéresse les historiens pour plusieurs raisons. La première – presque anecdotique quoi qu'elle « fasse symptôme » – tient à ce que trois des 24 participants et l'une des huit membres du comité scientifique étaient des historiennes. La deuxième, beaucoup plus fondamentale – mais qui n'est pas sans rapport avec ce qui précède – relève de l'intérêt extraordinaire que représente pour l'histoire, et particulièrement l'histoire des médias, le dialogue entretenu avec tous les représentants – théoriciens et pratiquants – des sciences du langage et du discours. Interroger « les récits qui circulent aujourd'hui à travers les sociétés modernes, récits médiatiques et filmiques » comme le disait le texte de présentation du colloque requiert, en effet « une multiplicité de regards croisés ». Et c'est dans cette multiplicité et ces croisements que les sciences humaines de demain trouveront la source de leur renouvellement et de leur créativité.

Que l'étude des contenus médiatiques depuis leur origine ne puisse se faire sans emprunts méthodologiques et épistémologiques au structuralisme, à la narratologie, à la sociologie ni même sans en référer encore et toujours à la philosophie de Paul Ricœur et à la manière dont il définit la « mise en intrigue » comme centre des récits, relève d'une sorte d'évidence. C'est pourquoi ce type de rencontre scientifique est tellement important : parce qu'il permet d'entretenir et d'affermir des échanges encore hésitants entre des approches et des perspectives complémentaires, parce ce qu'il ouvre à chacun l'accès à des horizons théoriques et à des savoirs précieux.

L'analyse faite par Patrick Charaudeau (Université de Paris XIII) de la relation établie par les images télévisuelles en termes d'images-réalités instituant le récepteur en voyeur, et d'images symptômes suscitant un regard réflexif, insistait sur la construction du regard de l'autre par la télévision. Les relations qui sont à l'œuvre dans les deux grands types de récits produits par la télévision, ceux qui construisent une quête identitaire et ceux qui mettent en cause les essences identitaires, convergent dans la production de ce que Patrick Charaudeau appelle « la vérité masquée ». Cette réflexion ciselée s'inscrivait dans la lignée des analyses auxquelles la science historique des médias à tout intérêt à s'alimenter.

La communication de Jocelyne Arquembourg (Université de Paris II) sur « le récit médiatique comme opération de jugement » à propos de l'opération « Renard du désert » mettait en lumière la perte – consubstantielle aux récits médiatiques – des débuts d'un récit et les coagulations ponctuelles auxquelles il donne lieu ensuite, aux moments où il prend forme. Cette approche permettait de saisir presque concrètement la notion d'intention qui préside aux configurations du récit médiatique et le rôle de cadrage du débat public qu'il remplit.

Enfin, le travail de Muriel Favre sur « La journée de Postdam du 21 mars 1933 », qui posait une question importante : les rassemblements du IIIe Reich étaient-ils des événements médiatiques ou des événements auxquels les médias avaient accès, permettait d'assister à la mise en œuvre historienne des conceptions et des catégories définies par les précédents orateurs. En concluant que « la masse initiale » des auditeurs de radio écoutant le récit de cette journée s'était transformée, par la vertu du récit médiatique, en une nation, Muriel Favre mettait l'accent sur une des composantes de la réception des messages médiatiques : sa dimension affective.

Riches journées que celles-ci donc, dont on ne peut que souhaiter qu'elles se répètent.

Anne-Claude Ambroise-Rendu

Information et propagande en Europe centrale et orientale, des années 1930 aux années 1960

En avril 2005, s'est tenu à Tartu, ville universitaire située au sud de l'Estonie, un colloque réunissant 22 chercheurs qui, de par leurs origines, attaches institutionnelles, ou centres d'intérêt, ont été amenés à explorer diverses facettes des médias, de la propagande, de la censure et de l'information dans l'Europe centrale et orientale, sous les régimes totalitaires, au cours des années 1930 à 1960. Si la plupart des intervenants provenaient des pays situés jadis derrière « le rideau de fer », depuis par exemple les pays baltes au nord jusqu'à la Bulgarie au sud (et même de la Moldavie où perdure un régime communiste), d'autres arrivaient des États-Unis, de l'Allemagne (réunie), du Royaume-Uni et de la France. Cet œcuménisme atlantiste – personne ne venait de Russie – s'accompagnait d'une diversité d'approches, de méthodes et de corpus, convoqués pour interroger les médias au temps des totalitarismes. Ainsi, plusieurs des historiens présents pratiquaient des analyses de contenu et de discours ; les « communicologues » étaient hantés par la fiabilité des sources interrogées, qu'il s'agisse des archives datant des années 1930 et 1940 ou des témoignages recueillis lors d'enquêtes et d'entretiens avec des personnes de plusieurs générations.

Le colloque revisitait les dispositifs d'agitation et de propagande, de censure – a priori ou a posteriori, et d'autres formes de contrôle et de promotion, dans cette Europe centrale et orientale, constellation de territoires envahis à plusieurs reprises où, pour certains d'entre eux, les forces soviétiques, nazies et soviétiques à nouveau, prenaient tour à tour l'ascendant. Maarja Löhmus (Tartu), co-organisatrice, releva que d'anciens pays communistes s'apprêtaient en 2005 à analyser « autrement » les artefacts idéologiques du passé ; l'abondance des sources devenues peu à peu disponibles depuis le tournant 1989-90, amenait à Ã©tudier différemment les logiques de contournement ou d'indifférence déployées par les acteurs idéologiques, parfois aussi par les médiateurs et par les usagers eux-mêmes.

Que de points aveugles constatés ! Ne pas parler dans les médias des transferts massifs de population dans les années 1940, par exemple. Plusieurs chercheurs privilégiaient la piste générationnelle pour appréhender les pratiques, et ce, que l'on s'intéresse au journaliste, au censeur ou agit-propagandiste ou alors au citoyen-destinataire des « textes » véhiculés. La durée assez longue de certains des régimes observés – les quarante années d'existence de la République démocratique allemande (RDA) comparées aux douze années du IIIe Reich, par exemple – y prédisposait.

Que l'on privilégie, comme objet d'étude, un événement ou une période brève, un média précis, une idéologie ou un pays – la Bulgarie, l'Estonie, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Tchécoslovaquie…, les divers travaux témoignaient d'un va-et-vient constant entre les discours officiels et les usages. Une communication d'Agnieszka CieÅ›likowa (Cracovie) sur la propagande soviétique de langue polonaise à Lvov, 1939-1941, démontra qu'une monographie fouillée suffit à pointer l'écart entre la finalité recherchée et les insuffisances des moyens mis en œuvre par le pouvoir – le papier – journal du support étudié aurait était apprécié surtout comme combustible par des habitants qui manquaient de tout… Deux communications concernant l'Allemagne scrutaient la panoplie des consignes prescrites en amont d'une part, et la propagande conçue comme une pratique sociale d'autre part. En effet, Jürgen Wilke (Mayence), mit en parallèle les instructions transmises à la presse par le régime en place, au cours du deuxième et du troisième Reich, avant de s'attarder sur un abondant matériau de consignes diffusées aux rédactions des journaux en RDA. Leur foisonnement dans cette dernière, État bureaucratique par excellence, laissait pantois : combien de rédactions disposaient des ressources suffisantes simplement pour en prendre connaissance ? Ces instructions pouvaient être programmatiques ou conjoncturelles, stipulaient le traitement à accorder à un événement survenu en Allemagne fédérale au cours des tensions Est-Ouest, ou encore à celui des contre-performances de la presse de la RDA elle-même.

Les questions ainsi soulevées revenaient à propos d'autres communications : comment concilier les impératifs idéologiques, ceux de l'agitation-propagande des masses, avec la nécessité de réagir à l'événement dans l'urgence ? Au cours des années 1960, toujours en RDA, la réaction dans l'urgence se faisait plus pressante : le volume de télégrammes expédiés, mettons, en début d'après-midi et qui signalaient le traitement de l'événement à faire paraître dans les éditions du lendemain, augmentait… L'autre communication allemande, celle d'Inge Marszolek (Brême), suggérait la complexité que pose l'étude de la propagande radiophonique. Les objectifs de Goebbels, qui variaient selon les époques étudiées (1933-1945), laissaient une place croissante pour la radio comme vecteur de divertissement. L'écoute, qu'elle soit individuelle, familiale ou collective, aurait-elle relevé l'évolution de l'offre ? Qu'on ait interdit dès 1933-1935, toute allusion à la culture juive (même les compositeurs de musique furent proscrits), ne signifiait pas qu'il ne faille pas s'interroger sur ce silence dans les émissions diffusées à l'approche de la fin de la guerre ; les responsables de la programmation n'auraient sans doute pas voulu réveiller un sentiment de culpabilité à propos de la solution finale. De même, Marszolek releva que l'interdiction de diffuser la rengaine d'une chanson populaire : « encore une journée merveilleuse qui tire à sa fin » aurait été inspirée par la crainte que le public y voit une allusion à la fin de la guerre. Bref, même l'interprétation habituelle, et pour cause, d'une radio aux ordres, mériterait d'être revisitée par une analyse plus poussée de l'offre des programmes.

Illustration de ces pays ballottés par les invasions multiples, les pays baltes eux-mêmes faisaient l'objet de communications où des considérations professionnelles, intra-régionales (la télévision de Talinn, Estonie, face à celle d'Helsinki, sa voisine finlandaise, vers 1956) et techniques avoisinaient les impératifs d'une propagande, bolchevique ou fasciste, « pure et dure ». Les émissions d'actualité qui annonçaient, plusieurs jours après l'événement, que N. Khrouchtchev s'était rendu à tel ou tel kolkhoz, et ensuite qu'il en était revenu, signalaient en fait une prise en compte croissante de l'événement, aussi institutionnel fût-il. Indrek Treufeldt, l'un des rares journalistes estoniens aujourd'hui accrédités à l'Union Européenne à Bruxelles, démontra que la conception soviétique et celle du parti communiste estonien gommèrent longtemps une construction occidentale de l'événement pensé en tant qu'élément de crise ou de conflit.

Co-organisateur du colloque, Olaf Mertelsmann (Tartu et Hambourg), releva que déjà Ã  la fin des années 1940, dans une économie de pénurie et de privations, on diffusait abondamment des films blockbusters, hollywoodiens ou allemands, trophées de guerre ; les télédiffuseurs ‘soviétisés'n'avaient pas à payer le moindre droit d'auteur. Mertelsmann signale par ailleurs que plusieurs indicateurs faisaient croire que « le nord de l'Europe » dont l'Estonie, la Lettonie, la Pologne et la Tchécoslovaquie, était alors autrement plus développé que des pays sud-européens, tels le Portugal ou la Grèce.

Plusieurs interventions s'attardèrent sur les intermédiaires, les médiateurs. On médit des censeurs ou alors on souligna, comme Jane Curry (Santa Barbara, Californie) à propos de la Pologne, que personne n'était dupe, ni parmi les élites, ni parmi les journalistes, ni parmi les usagers. Les journalistes, pour leur part, appréciaient que travailler « dans les médias » permettait d'accéder à des informations autrement interdites et d'arrondir des fins de mois ; les salaires, modestes, étaient complétés par des honoraires, versés pour avoir rédigé tel ou tel papier (les textes étaient longs, peu revus), parus, mettons, dans une revue culturelle à tirage plutôt confidentiel. On s'interrogea par ailleurs sur les journalistes occidentaux « dans la tourmente » : sympathisants de gauche dans les années 1930, militants de la paix et hostiles au fascisme, ils se trouvaient couvrir à la fin des années 1940 depuis une capitale « Ã  l'Est » les rapports complexes entre l'URSS et l'Occident ; certains qui avaient décidé que le discours des médias occidentaux, malgré l'apparente neutralité des faits rapportés, incitait à la guerre, avaient préféré même passer à l'Est (M. Palmer, Paris). Les invités du colloque prirent connaissance d'un poème estonien (1950) où l'on rappela que Winston Churchill – correspondant de guerre fait prisonnier lors du conflit opposant les Britanniques aux Boà« rs – était belliciste : « si seulement les Boà« rs n'avaient pas relâché de “pousse-à -la guerre†(war mongrel)… »

Pour O. Mertelsmann, l'importance de la pénétration des radios occidentales et de la diffusion des longs-métrages occidentaux précités attestait de l'impossibilité où se trouvait toute dictature à occulter les influences médiatiques de l'extérieur. Fallait-il en conclure pour autant que s'adonner à l'offre ludique occidentale (écouter Glenn Miller and his band, par exemple) signifiait, derrière le rideau de fer, un acte subversif, un fait de résistance ? Un acte de dissonance, peut-être, à l'opposé des chansons du folklore traditionnelles. Bien des questions restent ouvertes.

Michael Palmer

Citer cet article : http://histoiredesmedias.com/Recherche-Actualites,394.html

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