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16 - Espionnage

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Yannick Dehée et Olivier Forcade

Présentation

Le Temps des médias n°16, Printemps 2011, p. 6-8.

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A bien y regarder, se saisir du renseignement par l’histoire des médias est moins un paradoxe qu’une autre perspective d’historien. Longtemps, le renseignement a été interdit de la cité des historiens. Le dévoilement des affaires de renseignement intéressait au mieux une histoire politique attentive aux scansions des affaires d’Etat, aux complots, aux trahisons, voire aux assassinats politiques. Les services secrets, dépourvus de contrôle exécutif ou parlementaire, étaient souvent soupçonnés d’y tremper quand ils ne s’adonnaient pas à la torture pendant les guerres de décolonisation. Episodiquement, des travaux originaux ont pourtant su relever l’intérêt de cet autre champ d’investigation de l’Etat secret, de ses administrations ordinaires quoiqu’invisibles au regard des citoyens.

Sans conteste, la liaison entre médias et services secrets est passionnelle. Pour les hommes de l’ombre du renseignement, les médias de toutes sortes ne sont pas simplement une source d’information « ouverte », offrant à ceux qui savent lire entre les lignes des pièces de puzzle livrées comme par inadvertance. Longtemps les « soviétologues » des services occidentaux ont ainsi fait leur miel de la moindre feuille d’informations produite en URSS, si spécialisée soit-elle, pour compenser la rareté des sources humaines au sein du bloc de l’est. Aujourd’hui le Web offre aux arabisants des services antiterroristes ou aux experts de la guerre économique une plateforme à suivre en temps réel. Mais cet usage vertueux des médias en cache un autre. Plus que des consommateurs assidus de presse et d’Internet, les services secrets entendent bien, à l’occasion, en être les manipulateurs (pour la bonne cause, cela va sans dire…). C’est l’aspect encore tabou du couple Médias-Espions : parfois le journaliste se laisse consciemment ou non manipuler, croyant simplement entretenir une relation privilégiée avec une « source » bien placée, utile à son investigation. (C’est oublier un peu vite qu’en matière de manipulation des sources, les espions surclassent les journalistes). Parfois, c’est l’homme de presse qui oublie sa déontologie et accepte d’espionner, pour de l’argent ou par patriotisme. Pratique encore moins avouable et avouée, parfois l’espion lui-même se fait passer pour journaliste afin d’évoluer à sa guise en milieu hostile.

Ce dossier apporte quelques éclairages sur un lien complexe et mouvant : à propos du rôle de l’agence Havas pendant la guerre d’Espagne, Julien Auvert pose ainsi la question d’une instrumentalisation des journalistes par les services français et le quai d’Orsay, soucieux de ne pas rompre les ponts avec Franco. Jean-Pierre Bat évoque les usages de la presse française et africaine par un SDECE maître du jeu dans l’Afrique francophone post-coloniale. Nicolas Moinet et Christophe Deschamps étudient pour leur part l’utilisation d’Internet par les professionnels de l’intelligence économique.

En retour, les médias semblent de longue date fascinés par l’espionnage. Ce sont d’abord eux qui dévoilent le secret d’Etat. La fuite, le scoop, la campagne de presse opèrent un dévoilement régulier et croissant de l’activité ordinaire des services de sécurité et de renseignement au xxe siècle. Dans L’Affaire Dreyfus, Zola s’est déjà élevé contre les manipulations, bien réelles, des services secrets français. Mais, à la suite de Rudyard Kipling et Joseph Conrad, les écrivains ont tôt fait d’oublier au xxe siècle cette jurisprudence de l’indignation en ne retenant que la matière purement romanesque des affaires d’espionnage. Qu’il s’agisse de l’Action française dans la première moitié du xxe siècle (Olivier Forcade), ou des quotidiens français dans l’affaire du Rainbow Warrior en 1985 (Floran Vadillo), le scénario est toujours le dévoilement du secret par la fuite, politique ou judicaire. L’affaire Jean Valtin est une étonnante controverse sur fond d’espionnage et d’édition, à laquelle Guillaume Bourgeois apporte un éclairage inédit. La radio n’est pas en reste : un entretien avec Patrick Pesnot, animateur de « Rendez-vous avec X » sur France inter depuis plus de 10 ans, tente d’expliquer cette étonnante longévité. Enfin, signe que nous sommes entrés dans le règne du Web, Damien Van Puyvelde analyse à chaud les effets de l’affaire « Wikileaks » comparée au précédent des « Pentagon Papers ».

Du roman à l’image, l’espionnage s’épanouit aussi dans la fiction. Le cinéma d’espionnage a bien sûr connu de belles heures avant même que la Seconde Guerre mondiale ne consacre le genre par des grands maîtres du suspense. Les séries télévisées allaient insuffler un autre dynamisme au genre dans les années 1950 et surtout 1960, en créant des personnages qui empruntaient parfois aussi à la bande dessinée, moins par le graphisme de ces figures de héros ou de « salauds » que par l’atmosphère obsédante de la guerre froide (Vincent Chenille). Aujourd’hui, la télévision américaine renouvelle le genre de façon frappante, comme l’illustre la série A la maison blanche (Joseph Belletante). Plus en retrait que les Anglo-Saxons, les créateurs du cinéma français décrivent avec une certaine finesse la France comme une puissance secondaire du « Grand jeu » (Yannick Dehée). Tout récemment, la Stasi est à son tour devenue un objet de fiction, largement romantisé, avec La Vie des autres (Caroline Moine). C’est que l’espionnage, puis le renseignement au sens large, ont fini par occuper tous les domaines des médias. Il ne se passe plus une semaine désormais sans que ceux-ci ne présentent soit une affaire d’espionnage, soit une fiction qui ne relève peu ou prou du genre. Avec ce numéro, Le Temps des médias ouvre un dossier qui constitue un front encore pionnier des études internationales sur le renseignement.

Citer cet article : http://histoiredesmedias.com/Presentation,3383.html

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