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02 - Publicité, quelle histoire ?

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Propos recueillis par Isabelle Veyrat-Masson

Pascal Manry, créatif « touche-à -tout »

Le Temps des médias n°2, printemps 2004, p.223-231

Pascal Manry est ce qu’on appelle un « créatif ». Il a fait ses classes dans les agences de publicité les plus prestigieuses, en particulier CLM-BBDO où il a été sacré le « créatif le plus primé » de France. Il vient de rejoindre la quatrième agence mondiale de publicité, J. Walter Thomson, dont le nom évoque son créateur, inventeur — selon le site Internet de la société — de la première agence de publicité aux à‰tats-Unis. Pascal Manry est actuellement directeur de création dans cette agence considérée comme la « rolls » des agences de pub.

On a dit que vous étiez le « baromètre de la création publicitaire » [1] [2] ?

C'est une remarque très gentille de Bertrand Suchet. Cela fait référence à une époque très particulière de la publicité, les années 1980, et à l'agence CLM-BBDO. J'y ai passé 6 ans et c'est vrai que cette agence a représenté le sommet de la création publicitaire française des 30 dernières années. À cette époque, cette agence a concentré – au-delà de moi-même ! – un très grand nombre de talents. Elle a été un modèle pour tout le métier pendant 5 à 10 ans, à une époque où la publicité, très considérée, attirait les HEC par promotions entières, et même quelques énarques. Philippe Michel a cristallisé la qualité de ce métier pendant presque 10 ans. Il se trouve que j'ai participé à cette aventure, qui n'est pas une aventure individuelle. Mais ce qui est vrai, c'est que dans ces années-là , j'ai été le créatif le plus primé dans l'agence la plus primée…

Quelles campagnes ont forgé votre notoriété ?

D'abord, la pub Kookai, dans les années 1980. À l'époque, les adolescentes commençaient à s'approprier la mode : on y voyait des très jeunes filles photographiées en noir et blanc s'exprimant de façon insolente. Ensuite, le slogan de Monoprix : « on pense à vous, tous les jours », manière connivente et relationnelle, créative pour une enseigne, de parler à ses clients. La pub Barilla est aussi restée dans les esprits ; une pub haut de gamme, élégante, avec Depardieu. Ridley Scott a réalisé le premier spot ; David Lynch, le deuxième. C'était un an et demi de travail, beaucoup d'argent.

Le budget ?

C'est le genre de somme que seul le client est habilité à donner…

Comment êtes-vous arrivé à la publicité ?

Je voulais être rédacteur, « copywriter », écrire les slogans et les textes dans les agences de publicité. Pour ma génération, il n'y avait aucune formation officielle pour ce métier. Moi, j'ai fait des études bizzaroà¯des, de l'agronomie, de la science économique, de la gestion et de la psychologie. Des rédacteurs de ma génération ont suivi des études de philosophie, de droit. L'important était de savoir écrire et dire des choses par l'écriture.

Compte tenu de mes études, j'aurais dû être un commercial publicitaire ; mais je n'aimais pas le côté « costume-cravate ». En revanche, l'aspect créatif du métier m'a tout de suite fasciné, certainement pour son caractère « instable ». Mes études le montrent : je suis un « touche à tout ». Or, la publicité est quelque chose de formidable, parce qu'on change de produit d'une minute à l'autre. On passe des pâtes, aux livres, à la banque, à la barre chocolatée, à l'armée de terre… Dans ce métier, on ne fait pas la même chose d'une heure à l'autre. C'est vrai aussi que le côté un peu « show biz » était attrayant. Mais, quand j'ai décidé de faire ce métier, la publicité n'était pas bien vue : dans les années post 68, la publicité, c'était la consommation et l'exploitation des gens. Ce n'était pas du tout « tendance ». J'ai donc fait un choix à double contre-courant.

Votre premier job ?

J'ai débuté dans un service études chez Havas Conseil, dans les années 1970. C'est un métier dans lequel on entre souvent par relation, c'est une voie assez normale ; moi, je n'en avais aucune (mon père était ingénieur).

Quels sont les gens qui vous ont influencé ?

D'abord, Pierre Berville, à une époque où il travaillait chez Deplas-Homsy-Delafosse. (actuellement dans l'agence Grey [Calegari-Berville-Grey]) ; et puis, plus tard, Philippe Michel, avec lequel j'ai longtemps travaillé chez CLM.

Quels sont les métiers de la création publicitaire ?

Les « créatifs » dans les agences de publicité travaillent en équipe. Chaque équipe est constituée d'un directeur artistique, qui a suivi des formations artistiques (école des Arts déco, écoles d'art, qui n'étaient pas forcément publicitaires à la base : aujourd'hui chaque école a une formation à la publicité) et d'un « concepteur-rédacteur », chargé de l'écriture des textes. Le travail en « team » date des années 1950. Je crois que cela a été inventé par un certain Bernbach, un des fondateurs de l'agence DDB. C'était un publicitaire new-yorkais et – pour la petite histoire – il aurait dit qu'une bonne équipe de publicitaires était formée d'un rédacteur juif new-yorkais et d'un directeur artistique italien. D'ailleurs ma génération a été terriblement influencée par la culture juive new-yorkaise…

Dans une agence, il y a plusieurs équipes de création – 2, 5, 15, 30 pour les plus grosses. Elles sont dirigées par un directeur de création qui, lui, a été soit rédacteur, soit directeur artistique, et qui se retrouve à diriger les autres.

Est-ce que les équipes sont spécialisées par sujet ?

Aux États-Unis, où le marché est gigantesque, les créatifs sont souvent spécialisés ; pas en France, même si on note quelques petites spécialisations, comme la publicité grands médias pour les produits et les publicités qu'on appelle « corporate », qui concernent l'image des sociétés, des sujets gouvernementaux ; mais en gros, c'est assez peu spécialisé en France. C'est important pour moi de pouvoir être « touche à tout ». Dernièrement, j'ai fait des campagnes gouvernementales pour l'Armée de terre et là , il s'agissait de questions touchant à la sécurité, etc. C'est très intéressant. J'ai donc récemment acquis un savoir-faire particulier dans ce domaine.

Depuis une grosse dizaine d'années, vous êtes « directeur de création »…

Oui, parce qu'un moment donné, vous êtes un créatif tellement primé que l'on vous propose, que l'on exige de vous, que vous ne soyez plus créatif et que vous deveniez directeur de création, que vous supervisiez les autres. J'ai résisté à cela le plus longtemps possible (parce que j'aimais bien être créatif). J'ai cédé et je le suis devenu deux fois 3 ans, chez TBWA et FCB, à une époque difficile, avec la crise du début des années 1990 et les lois Sapin qui ont coupé les revenus des agences… J'ai fait ce métier consciencieusement, mais avec une petite frustration de ne plus être créatif, de ne plus faire les choses moi-même. Comme directeur de création, j'aide surtout les autres créatifs : c'est la gestion des personnes qui domine dans le métier de directeur de création. En plus, j'ai une fonction de représentation vis-à -vis de la presse et des clients. Je suis dans les jurys.

Vous avez fait une longue parenthèse en free lance…

Ce passage s'est fait sur une série de hasards. Un client a demandé que je reste comme consultant et je suis devenu consultant free lance pendant 6 ans. J'ai collaboré avec toutes les agences du marché et j'ai trouvé du plaisir à travailler seul. J'ai choisi de travailler pour des agences et non pour des clients directs. Parmi les créatifs, je suis celui qui aime aborder les questions de stratégie et de campagne. J'ai donc été beaucoup consulté sur des questions de stratégie vue sous l'angle du créatif.

Et puis, vous êtes revenu en agence…

Oui, il y a plus de trois mois. Je dirais que c'est une pure question de cycle. Je me sens plus mûr : on est souvent directeur de création trop jeune. Aujourd'hui, c'est un choix. J'ai rejoint J. Walter Thomson, une agence très solide, très ancienne (plus de 150 ans, 75 ans en France). Elle fait partie de WPP, une des 4 plus grosses agences mondiales, implantée partout. Elle a de très gros clients, Kellogs, Nestlé, Unilever, gérés mondialement, et la capacité de gérer des budgets mondiaux. Le levier d'une grosse entreprise est colossal. Il y a 300 personnes dans cet immeuble avec des ressources formidables sur lesquelles on peut jouer. Moi j'essaie d'apporter un peu d'insolence et de folie… C'est une société que j'estime, dont je connais les gens ; j'y ai travaillé comme consultant. J'avais même rencontré certains, comme Walthère Malissen que j'avais croisé chez CLM, il y a 10 ans.

Quelles sont les relations entre la commande et la créativité ?

Cette question est au cœur de ce métier. Certains auteurs, comme Georges Pérec, se donnaient des contraintes pour créer. Certains, des créateurs, des créatifs, ne supportent pas la contrainte et ne sont à l'aise que hors de toutes consignes. Or, la publicité est d'abord un travail de commande, avec les contraintes de la commande. Il y a des gens que cela stimule. C'est mon cas. S'il n'y avait pas de contraintes, je ne ferais rien. C'est le dialogue avec la contrainte qui m'intéresse. Ce métier, au-delà de l'aspect créatif, est un métier de résolution de problèmes. La création est une solution aux problèmes qu'on vous a posés : on parle en anglais de « problem solving ». La création n'est que l'expression de la résolution.

C'est encore de la création ?

Oui. Les agences de publicité sont une charnière entre le monde économique (l'entreprise, les industriels) et le monde artistique, le commerce et l'art. Les artistes s'expriment : photographes, réalisateurs, acteurs, illustrateurs… L'agence de pub permet ce dialogue entre des mondes très différents. La publicité est un métier un peu schizophrène qui permet de comprendre à la fois les problèmes des entreprises et les attitudes des artistes. Les entreprises sont inaptes à discuter avec les artistes.

Vous avez déclaré vouloir faire des « publicités qui réconcilient les annonceurs et les créatifs » [3]. Que vouliez-vous dire ?

Une dérive récente des publicitaires, des créatifs, consistait à faire des annonces farfelues, hors contraintes. Les annonceurs par moment ont tendance à juger sur des critères exclusivement économiques, sur les résultats (ce qui est important), alors que les créatifs ont tendance à négliger complètement les critères d'efficacité économique.

Quel est le principal ennemi du créatif ?

C'est un travail très difficile d'avoir une activité de création dans un univers de pression très forte. C'est de la création en milieu hostile. Mais les créatifs publicitaires en ont l'habitude sinon, ils sont déjà partis. C'est même le savoir-faire de base, de travailler sous des contraintes extrêmement fortes.

Et son principal allié ?

Des moyens extraordinaires à sa disposition. On peut aller demain, n'importe où, à Los Angeles ou à Tokyo, avoir les meilleurs talents mondiaux et les mettre au service de son idée…

Si la publicité est une activité créatrice avec des contraintes économiques, c'est aussi un puissant secteur économique. Du coup, un créatif de 20 ans qui débarque dispose des plus grands photographes du monde entier, des plus grands réalisateurs. Il peut se retrouver faire un film avec Spielberg. C'est l'aspect incroyable de ce métier. Si on le compare avec les moyens d'autres créateurs…

Comme les cinéastes…

Exactement. Le coût à la seconde d'une publicité n'a rien à voir avec le cinéma ; je crois que le coefficient multiplicateur est de 40 ou 50 par rapport à un long métrage. D'ailleurs, certains réalisateurs de long métrage aiment beaucoup faire de la publicité pour cette raison.

Quels grands secteurs vous ont le plus intéressés ?

Sans doute Procter et Gamble, la lessive : c'est là que s'est développée une vraie réflexion sur la communication ; même si le résultat s'est apparemment limité à « lave plus blanc »… Mais c'est tout de même l'ENA de la réflexion publicitaire. J'ai travaillé avec eux cinq ans et j'ai tout appris du raisonnement publicitaire, de la communication. Il y a une manière d'aborder les problèmes et de les résoudre qui est la plus efficace… Cette démarche, je m'en sers tous les jours.

Par goût personnel, j'aime beaucoup ce qui est mode. Il y a une pensée mode, une manière de faire mode qui peut servir dans tous les secteurs. La mode est une énorme école de forme. On apprend que la forme signifie quelque chose. L'Oréal, par exemple, est un croisement de l'école Procter et de la mode. Même si elle l'est moins aujourd'hui, la grande consommation a longtemps été l'aristocratie de la publicité. L'automobile compte tenu de l'importance économique, du poids du lancement, reste aussi un domaine très prestigieux, avec les plus gros budgets et la meilleure visibilité. La distribution a pris une énorme importance ; c'est complexe et pas très beau en images. La communication gouvernementale, avec les grands sujets, le tabac, la sécurité, la nutrition a pris beaucoup d'importance et c'est très intéressant. La publicité, étant capable de modifier les comportements sociaux, devient un outil de plus en plus sophistiqué dans ce dernier domaine.

Existe-t-il des produits ou des sujets pour lesquels vous ne pourriez pas faire de publicité ?

À part l'extrême droite… On peut traiter de tout. Mais c'est vrai que certains produits posent des problèmes : par exemple faire de la publicité pour le tabac ou pour l'alcool. Toutefois, dans notre métier, on peut à la fois faire de la publicité pour et contre le tabac.

Vous interrogez-vous sur l'utilisation de certaines images ?

C'est un thème très important. Notre métier s'est sophistiqué au cours des quinze dernières années. D'abord est apparu un cadre juridique, comme la loi Évin. Aujourd'hui une grande partie de notre travail consiste à travailler à l'intérieur d'un cadre juridique complexe, avec des risques. Dorénavant un créatif doit savoir écrire à l'intérieur de ce cadre précis. En ce moment, on voit arriver un cadre éthique au moins aussi lourd que le cadre juridique. Toute grosse entreprise a maintenant un cadre éthique. Sa communication ne doit pas porter atteinte à l'image de telle ou telle catégorie.

Vous trouvez cela légitime ?

Oui, tout à fait. Nous travaillons dans un système de contraintes. Je trouve cela tout à fait normal. Mais il y a 20 ans, nos contraintes n'étaient qu'économiques. Elles sont devenues juridiques et maintenant éthiques. Ce n'est pas un métier aussi simple et show biz qu'on l'imagine.

Il y a actuellement un débat important autour de la nutrition. Les marques alimentaires se doivent d'avoir un cadre éthique sur leur communication, sur la qualité nutritionnelle de leurs produits… Les marques alimentaires ne doivent pas pousser à consommer trop d'aliments sucrés, etc.

Sur chaque secteur, il y a un cadre juridique : sur l'utilisation des enfants, de la voiture, l'alcool, le tabac. Le cadre évolue constamment. Quant aux images de la femme, les publicitaires étrangers sont choqués par le nombre de femmes nues dans nos publicités. Alors qu'en France, c'est culturellement admis.

Le comportement du public à l'égard de la publicité évolue-t-il ?

Oui, et il faut en tenir compte. Il change, notamment en fonction du contexte économique. En période de crise ou de croissance, la publicité n'est pas acceptée de la même manière. Dans les années 1980, le public s'amusait beaucoup avec la publicité : c'était drôle, tendance, chic. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. En période de crise, la publicité pour le luxe, par exemple, est choquante. Il faut en tenir compte dans la création, éviter les publicités agressives, les rendre plus douces et plus neutres dans l'apparence, ne pas heurter le public.

Vous avez parlé de « maturité » [4] du public. Que vouliez-vous dire ?

Le public décode de mieux en mieux les mécaniques publicitaires, sans même en être conscient. Il est de plus en plus « immunisé » contre les messages publicitaires. Il voit où on veut l'emmener. Il a appris. Il décode très bien. Il a une lecture consumériste très précise.

Il faut en tenir compte, éviter les solutions simplettes, ne pas prendre le public pour un idiot. Les marques, depuis quelque temps, cherchent des affinités avec les consommateurs. La sympathie d'une marque est aussi due au ton avec lequel elle parle à ses consommateurs. L'injonction de la pub : « faites ceci ou faites cela », marche de moins en moins.

La provocation a disparu ?

Aujourd'hui, peu de marques se risqueraient à la provocation « extrême » de type Benetton ; les effets en sont très difficilement maîtrisables. La provocation reste un des outils de base de la publicité ; mais c'est une provocation partielle, des petits chocs maîtrisés. Tout le problème est de contrôler l'effet de ce que l'on produit. Peu d'entreprises demandent un « Benetton ». C'est un cas unique, qui en plus a été fait sans agence, ce qui n'est pas un hasard. Jamais une agence n'aurait pu prendre le risque de faire une telle campagne. Les conséquences sur la marque ont été désastreuses.

Est-ce qu'il reste des tabous dans la publicité ?

Elle est encadrée par une législation très précise. Bien entendu, le jeu est d'être à la limite, non pas pour tricher par principe, mais pour s'exprimer le plus pleinement possible. Certaines marques jouent avec le « politiquement correct », en s'en moquant. Voyez Eram… Dans l'une de ses pubs, on voyait une autruche avec des bottes, et le texte disait « aucun corps de femme n'a été exploité pour cette publicité »… Le cadre éthique est normal mais le politiquement correct est parfois excessif.

Lorsque l'on parle de vous, on parle d'« impertinence », de « décalage ». Par rapport à quoi ?

Par rapport au côté moyen des gens. Si on montre une personne moyenne, avec un look moyen, un costume moyen, une maison moyenne, cela n'a aucun intérêt. Montrer toujours le côté décalé des choses, être impertinent, c'est le réflexe de base. Il ne faut jamais être là où on vous attend, c'est-à -dire au standard, à la moyenne. Je parle d'un produit de luxe comme s'il n'était pas cher ou inversement… C'est une nécessité d'impact.

Il existe tout de même des publicités qui mettent en scène des Français moyens ?

Oui, la banque a cette tendance. Mais une étude nous a montré que les gens ne s'identifiaient pas à quelqu'un de banal : plus une personne est décalée, plus un grand nombre de gens se reconnaissent en elle. Ce n'est pas parce que le consommateur est une personne moyenne qu'il s'identifiera dans la communication à une personne moyenne.

Pour vous, la publicité, c'est un art ? une culture ? un business ?

J'aime bien l'expression « art et commerce ». C'est un mélange. Pour les Français, tout est culturel. L'alimentation, le repos, le RTT, tout est culturel. Donc la publicité est nettement un élément culturel. Aux États Unis, tout est matériel : dans la publicité tout est présenté de manière plus matérialiste, la publicité française plus culturelle.

Quelles sont les grandes tendances actuelles dans la publicité ?

Je remarque l'européanisation des publicités. Nous faisons une publicité pour Lipton qui va passer dans une douzaine de pays. La pub Télé 2 a été produite pour 22 pays. La France prend du poids, en ce moment, sur ce marché publicitaire. Traditionnellement, le centre le plus sophistiqué pour la publicité était l'Angleterre. Mais elle a le défaut d'être très anglaise, pas européenne. C'est pourquoi, un certain nombre de campagnes européennes sont coordonnées en France. Ce qui crée d'ailleurs des contraintes supplémentaires… Notre actualité, c'est aussi l'ouverture de la publicité au secteur de l'édition. Cela provoque des débats chez les éditeurs et je travaille actuellement avec Flammarion et Frédéric Beigbeder. Il n'y a pas d'antériorité dans ce domaine. C'est très intéressant.

Quelle est la place de la télévision ?

Elle est prépondérante, incontournable, énorme, surtout en raison du coût. Cette situation est assez particulière à la France. Aujourd'hui, on note une légère montée en puissance du câble, ce qui est assez intéressant pour les petits annonceurs. On peut maintenant envisager de faire de la télévision sur des bases moins lourdes, éventuellement pour des éditeurs. En revanche, la distribution en France n'a toujours pas accès à la télévision, afin de protéger la presse écrite régionale. Mais cela risque d'évoluer et de produire un vrai tremblement de terre… En ce moment, les agences (en particulier les plus grosses) préparent ce changement ; parce que la distribution, c'est un budget extrêmement important.

Les publicitaires se défendent de l'accusation de manipulation en affirmant qu'elle n'existe pas puisqu'elle est visible, revendiquée. Qu'en pensez-vous ?

Je suis d'accord. Mais le mot manipulation est trop chargé négativement. C'est vrai qu'il y a dans la publicité, le désir de transformer les comportements. Mais si je manipule les gens pour qu'ils s'arrêtent de fumer, je le fais pour de bonnes raisons… Il y aurait manipulation s'il y avait des buts cachés, et si c'était fait de manière secrète. La publicité agit assez peu de manière cachée. Elle parle davantage des choses positives que des choses négatives, c'est vrai, mais elle le fait de manière non dissimulée. Ce sont des éléments avec lesquels on joue. La marque joue à manipuler en disant : « je cherche à vous manipuler, jouons ensemble ». C'est un dialogue assez quotidien. Il ne s'agit pas de propagande clandestine. Nous vivons d'ailleurs dans un cadre éthique et légal. Nous ne cherchons jamais à tricher.

[1] Propos recueillis le 22 janvier 2004.

[2] Stratégies, 18 décembre 2003.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

Citer cet article : http://histoiredesmedias.com/Pascal-Manry-creatif-touche-a-tout.html

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