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Ouvrage : Tristan Mattelart (dir.), Médias, migrations et cultures transnationales (De Boeck / INA, 2007). Recension par Virginie Sassoon.

Médias, migrations et cultures transnationales est un ouvrage collectif qui nous permet de saisir la complexité des enjeux transnationaux générés par les flux concomitants de médias et de migrations. Dans le premier chapitre, Tristan Mattelart effectue une synthèse critique des travaux anglo-saxons sur la question des médias et des migrations. Cette partie constitue donc une porte d’entrée théorique aux contributions qui suivent. Seule Marie-France Malonga traite ensuite directement des représentations médiatiques des populations issues de l’immigration. Face à un petit écran qui les exclut et les stigmatise, l’auteur constate que les « stratégies identitaires » des minorités noires consistent à se tourner vers les figures noires de la culture de masse américaine. Si l’étude des pratiques montre qu’il n’y a pas de « repli communautaire médiatique », l’amélioration de la qualité des représentations des minorités demeure un défi d’actualité. De son côté, Camille Deprez analyse les mutations du cinéma hindi depuis le début des années 1990. Pour résister au cinéma américain et à la concurrence de la télévision privée, l’industrie du cinéma de Bombay a diversifié sa production. L’auteur constate l’accélération des logiques d’hybridation, dont l’une des manifestations les plus significatives est l’« inglish », mélange d’hindi et d’anglais. S’il apparaît que ces films véhiculent des modèles sociaux dominants, au détriment des populations rurales pourtant majoritaires, ils contribuent aussi à une « redéfinition cosmopolite de l’indianité ».

Dans une perspective plus géopolitique, Zozan Akpinar retrace l’histoire des chaînes kurdes par satellite et revient sur les conditions de la création de Med TV (fermée en 1999 mais qui renaîtra quelques mois plus tard sous un autre nom). « Appareil de l’Etat-Nation kurde à venir » pour le Parti ouvrier du Kurdistan (PKK), la chaîne est perçue comme une menace par l’Etat turc. Pourtant la politique active menée à son encontre semble avoir une portée limitée, notamment parce que « les kurdes ont leur place dans le processus d’intégration en Europe ». Mais force est de constater que le maintien de l’existence d’une télévision kurde en Europe accroît la dépendance de ce mouvement minoritaire envers des Etats européens, ce qui, pour Zozan Akpinar montre « les limites du champ migratoire comme espace de mobilisation et de contestation ». Riadh Ferjani analyse quant à lui les réactions des politiques français face à l’irruption des chaînes satellitaires du Moyen-Orient ou du Maghreb dès le début des années 1990, qui démontrent une volonté de contrôle de l’expression des minorités au sein du champ télévisuel. L’inquiétude de l’Etat français sur l’impact de ces chaînes est sous-tendue par la croyance en l’« omnipuissance » des médias, ce que l’auteur vient relativiser. En réalité, ces chaînes activent auprès de leur public une « condition transnationale (…), un troisième espace, un « inbetween » entre la culture du pays d’origine et celle du pays de résidence ». Une analyse qui fait écho à celle d’Olfa Lamloum, qui relativise également l’impact de la chaîne qatarie Al-Jazira en France. L’auteur constate que les téléspectateurs, surtout les jeunes, ne maîtrisent pas souvent l’arabe littéraire employé par la chaîne. Son succès s’explique grâce à un personnel qualifié et à un investissement logistique important, qui lui a permis de traiter les conflits du monde arabe du point de vue de l’« en dedans » arabe ou musulman et non pas de l’« en dehors occidental ». Ainsi, les jeunes y trouvent une reconnaissance qui fait cruellement défaut sur les écrans français. Dans la dernière partie, Emilie Descout montre comment les radios de la communauté cubano-américaine de Miami ont été les vecteurs de « l’idéologie de l’exil cubain », anti-castriste, défendant l’embargo économique. Si ces radios ont eu un rôle social et politique important, l’analyse prouve aussi que les groupes isolationnistes ont été incapables de former un front uni contre le régime castriste.

L’intérêt de l’ouvrage réside dans son architecture même, qui permet de mettre en perspective les apports des analyses anglo-saxonnes avec les textes de ces auteurs, aux approches aussi diverses que complémentaires, et ainsi de mieux comprendre le monde que dessinent les flux concomitants de médias et de migrations, envisagés dans leurs dimensions économiques, politiques, sociales et culturelles.

Virginie Sassoon

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 12, printemps-été 2009, p. 254-255.

Citer cet article : http://histoiredesmedias.com/Ouvrage-Tristan-Mattelart-dir.html

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