Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Simon J. Potter, News and the British world (Clarendon Press, 2003). Recension par Michael Palmer.

Affirmant le souci de se libérer de la perspective des histoires « nationales » de la presse, S. Potter analyse le rôle de la presse et de la circulation des « nouvelles de l’empire » britannique, entre les années 1870 et 1920. L’ouvrage débute avec l’entrée en service du câble sous-marin reliant l’Australie à la Nouvelle-Zélande, qui paracheva le dispositif reliant la Grande-Bretagne aux colonies et dominions dits blancs (dont le Canada et l’Afrique du Sud) ; il centre sur les temps de crise (guerre des Boers, guerre de 14-18) ; il s’achève sur des « crises » survenues en 1922 (moment de « clôture » qui ne convainc que partiellement). On voit perdurer l’importance non pas de l’État, mais des intérêts de grandes entreprises de presse, vecteurs de l’empire, établies depuis longtemps et qui, à la différence de l’importance des rapports entre l’État britannique et l’Inde, vaste sous-continent dit « bijou de la couronne », déterminaient pour des raisons commerciales l’essentiel des flux circulant entre « la mère patrie » et « l’outre-mer ».
Écrire ainsi, c’est buter sur le problème du vocabulaire lorsqu’on veut dépeindre, en langue française, le fonctionnement des « intérêts de l’empire britannique ». Potter précise un tournant qui caractérise l’historiographie britannique récente ; les Dominions précités relevaient par le passé (1868) de Greater Britain et aujourd’hui du British world : être britannique – Britishness – serait un trait partagé, depuis le début du xixe siècle, par les Dominions comme par les habitants des îles britanniques. Au siècle dernier, les deux conférences de la presse impériale (tenues à Londres en 1909 et à Ottawa en 1920) symboliseraient cette époque où certains se croyaient tout autant « habitants de l’empire » que « membres d’une communauté nationale ». À cet égard, Potter ferraille contre « la communauté imaginée » que signalait Benedict Anderson (1983) – notion tant reprise par la suite – pour qui la presse incitait ses lecteurs à se penser comme membres de cette communauté nationale. On s’étonne quelque peu que Potter ne s’attarde pas sur la rhétorique kith and kin – (« connu du clan », traduction libre) qu’on rendrait malaisément par le vocable « compatriotes » –, très en vogue vers 1900 dans certains journaux, partisans de l’empire. On salue ces moments où il relève la diversité des sources, des « voix » auxquelles avaient accès les lecteurs de journaux dans les Dominions. Nombreux étaient les prismes : à partir de la généralisation de la copie transmise par voie télégraphique, il arrivait qu’une personne instruite habitant la Gaspésie, au Québec, soit plus amplement et rapidement informée de la vie politique britannique que de celle du Canada (p.215).
Les historiens de la presse britannique du xxe siècle ont coutume de signaler l’importance des hommes d’affaires et entrepreneurs de presse venus des Dominions qui devenaient des « Citizen Kane » de la presse britannique (les Canadiens – tels Max Aitken [lord Beaverbrook], Roy Thomson, Conrad Black – et les Australiens dont Rupert Murdoch est l’exemple contemporain le plus célèbre). Potter identifie a contrario l’importance des correspondants de presse actifs à Londres – plus d’Australiens que de Canadiens semble-t-il – qui alimentaient le trafic télégraphique Centre-périphérie/périphérie-Centre. Londres, point de convergence de bien des câbles transocéaniques, façonnait le plus souvent les interactions, qu’il s’agisse de la propagande favorable à l’empire ou des informations circulant entre le Centre et la périphérie, et parfois entre plusieurs « portes » de la périphérie…
À quand une recherche majeure portant sur la circulation des nouvelles irriguant l’empire français ? Posée ainsi brutalement, la question voudrait attirer l’attention sur l’absence en français d’un travail analogue à celui de Potter. Actuellement en poste en Irlande, ce dernier disposa, pour mener à bien ses recherches, des archives diplomatiques, des entreprises de presse, etc., aux « quatre coins de l’empire ». Il consacre un chapitre à l’agence Reuters, entreprise journalistique et impériale. En France, certains chercheurs utilisent les fonds de l’agence Havas, du Quai d’Orsay et des ministères des colonies et d’outre-mer. L’histoire des postes et télégraphes – où Catherine Bertho-Lavenir effectua tant de recherches – recèle d’autres trésors encore. Il y a huit ans, un jeune chercheur, Hervé Tenoux (Paris-VII), réalisa une thèse intitulée Nouvelles de l’empire : La diffusion inter-coloniale d’informations Paris-Dakar-Saïgon (1887-1954) qui explorait certains de ces fonds à propos des liaisons télégraphiques avec les colonies. L’historien Jean-Claude Allain revisita des archives permettant de saisir les stratégies des « câblo-opérateurs » d’antan ; Pascal Griset fit bien avancer notre connaissance de ces questions. Lire Potter suggère d’autres pistes encore pour des chercheurs travaillant sur les réseaux et les flux des nouvelles circulant dans l’empire français.
Michael Palmer
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 3, automne 2004, p. 231-232.