Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Roger Dadoun, La Télé enchaînée. Pour une psychanalyse politique de l’image (Homnisphères, 2008). Recension par Jean-Claude Soulages.
Le livre de Roger Dadoun apparaît comme un puzzle singulier. En tout premier lieu dans sa forme, puisqu’il réunit aussi bien des chroniques ancrées dans l’actualité du média que des textes théoriques ou littéraires plus élaborés, mais surtout dans ses propos dont on pourrait presque conclure qu’ils sont émis par des auteurs différents. En effet, le premier de ces personnages porte le masque d’un imprécateur intraitable du petit écran, condamnant tour à tour, « l’hilaro-fascisme » de la programmation, le « capital-étron » des animateurs paillettes et la grivoiserie revendiquée de la conversation mondaine des talk-shows pour noctambules « cumulards ». Si l’on écarte un seul programme (un documentaire de Nigel Levy) on peut se demander dans quel but ce téléspectateur masochiste reste rivé à son écran et surtout quelles gratifications il en retire, si ce n’est celles de condamner et de se scandaliser ? On pourrait amicalement lui conseiller de zapper. Mais peut-être cette énergie critique et destructrice constitue-elle la nourriture narcissique et quotidienne du critique de télévision qui compare l’incomparable, la culture du petit écran à l’aulne de sa propre culture ?
On pourrait ajouter que ce manichéisme est tout à fait contradictoire puisque c’est à travers ce même écran cathodique et l’horizon du visible qu’il offre, que sont possibles les condamnations argumentées et salutaires du 11-Septembre, de l’exode des Kosovars ou bien de la comédie politique sans cesse recommencée. Cette posture schizophrène de l’homme aux deux cultures l’entraîne vers cette inéluctable essentialisation du média et à arguer de son instrumentation délibérée et cynique.
Le second auteur est omniprésent, c’est celui qui assume le projet d’une psychanalyse politique de la télévision : « Le divan du monde entier installé à demeure ». Mais cette schizo-analyse initiée par Deleuze et Guattari est restée lettre morte : comme le constate Roger Dadoun, pour qu’elle soit réellement productive, il aurait fallu l’appliquer à des objets, des publics, des pratiques. Elle n’a cependant jamais dépassé le stade d’une invocation pieuse et velléitaire.
Entre en scène le dernier auteur, celui qui parle de culture, et là , sans doute, on découvre le regard juste du penseur. Dans les toutes dernières pages, on rencontre enfin un regard détaché de son objet qui, en empruntant tour à tour à Mead, Winnicot et Bourdieu, s’interroge sur la production et la transmission des biens culturels et qui finit par avouer à demi mots qu’il faut « nuancer et relativiser les effets incontestables dont on crédite la télévision ».
Jean-Claude Soulages
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 12, printemps-été 2009, p. 250-251.