Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Marie-Laure Aurenche, Edouard Charton et l’invention du Magasin pittoresque (1833-1870) (Honoré Champion éditeur, 2002). Recension par Gilles Feyel.

Cet ouvrage renouvelle complètement son sujet d’études, parce qu’il est appuyé sur les papiers privés et la correspondance d’Edouard Charton (1807-1890), une correspondance dont l’auteur nous promet la publication intégrale chez le même éditeur. Il s’agit d’un compromis entre la biographie morale et intellectuelle d’un véritable « passeur d’idées » et l’étude de son Å“uvre journalistique et livresque. D’où un curieux plan dont la première partie est consacrée à l’enfance, à l’éducation et aux premières initiatives du jeune adulte Charton (1807-1833), alors que les deux parties suivantes présentent les premières années du Magasin pittoresque (1833-1842) puis les autres entreprises éditoriales entre 1843 et 1870.
De l’enfance et des débuts de l’âge adulte, il faut retenir les premières années dans l’espace provincial de la ville de Sens, entouré d’un vieux père héritier de la philosophie des Lumières et d’une mère plus jeune, d’éducation chrétienne et stoïcienne. Ce milieu de bourgeoisie rentière donne à l’enfant une éducation fondée sur une morale du devoir, renforcée par les années passées au Collège royal de Sens. Ses parents l’envoient à Paris en 1824, pour y suivre des cours de philosophie en vue du baccalauréat puis des études de droit pour devenir avocat. Voilà une formation exemplaire, fréquente chez les jeunes journalistes de l’époque. Charton va y ajouter un grand souci du progrès par la philanthropie et l’instruction du plus grand nombre. Membre de la Société pour l’instruction élémentaire, mais aussi de la Société de la morale chrétienne, il fait ses premières armes de journaliste dans leurs bulletins. Son adhésion au saint-simonisme, dont il fut un prédicateur enthousiaste achève sa formation intellectuelle et morale, tout en lui donnant de nombreux amis qui lui seront nécessaires pour la rédaction du Magasin pittoresque.
C’est l’imprimeur Lachevardière, anxieux de donner du travail à ses presses mécaniques anglaises, qui a l’idée de lancer le Magasin pittoresque, à l’imitation du Penny Magazine de Londres. Après quelques hésitations, le jeune Charton finit par accepter de diriger la rédaction du magazine, qu’il gardera toute sa vie active, jusqu’en 1882. Marie-Laure Aurenche donne une foule de détails de première main sur ce magazine hebdomadaire proposant texte et gravures sur bois « de bout » : le commerce des stéréotypes des gravures avec les Anglais, le travail de la rédaction (grâce à la correspondance de Charton), l’analyse du contenu textuel, celle des gravures, l’établissement des ateliers de graveurs parisiens, notamment celui de Jean Best, les journalistes, les dessinateurs et les graveurs, la diffusion du magazine (60 000 abonnés en février 1834, tout juste un an après le lancement), l’évolution de la propriété. En 1882, Charton, ce républicain anxieux d’instruction populaire, mais aussi de morale civique et sociale résume bien la philosophie de ses cinquante années de travail : « éveiller de saines curiosités d’instruction » et « entretenir de bons sentiments ».
À propos de L’Illustration, l’auteur révèle pourquoi Charton s’en est rapidement retiré, alors qu’il était à l’origine de sa création en 1843. Lachevardière craignait une telle concurrence pour la survie du Magasin pittoresque. Enfin, Charton ne se sentait pas à l’aise dans ce « nouvellisme illustré », trop « parisien » et trop mondain à ses yeux : l’un des journalistes « déteste le progrès » et ne veut pas « faire de leçons de morale comme un prédicateur protestant » ! Marie-Laure Aurenche présente ensuite les autres créations de Charton : L’Almanach du Magasin pittoresque (à partir de 1851), les Voyageurs anciens et modernes (1854-56), l’Histoire de France (1859), et chez l’éditeur Hachette Le Tour du monde, nouveau journal des voyages (à partir de 1860) et la Bibliothèque des merveilles (1865).
Voici donc un livre qui apporte du neuf à l’histoire de la presse et de l’éducation populaire. On peut toutefois déplorer une relecture peu soigneuse, d’où des fautes de typographie anormalement nombreuses, enfin des erreurs de chiffres sur les tableaux p. 216-217.
Gilles Feyel
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 1, 2003, automne 2003, p. 251-252.