Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Marc Martin, La presse régionale. Des Affiches aux grands quotidiens (Fayard, 2002). Recension par Gilles Feyel.

Il faut savoir gré à Marc Martin d’avoir rédigé sur la presse départementale et régionale l’ouvrage de synthèse qui lui manquait. Comme tout travail de ce genre, un tel livre offre les idées originales de son auteur, mais permet aussi de repérer les périodes moins parcourues ou les thèmes moins traités par les historiens. Somme toute assez bref dans son exposé — à peine 405 pages de texte, auxquelles viennent s’ajouter 48 pages de notes et diverses annexes (chronologie, bibliographie et deux précieux index de noms et de titres) — le livre, découpé en trois parties, présente toute l’histoire des journaux de province, depuis les réimpressions de la Gazette de Renaudot au xviie siècle, jusqu’aux difficultés les plus contemporaines de la presse quotidienne régionale, depuis les temps où les provinces étaient complètement dominées par la presse parisienne, jusqu’aux temps les plus contemporains, où la presse régionale dispose de la prépondérance sur son territoire de diffusion.
La première partie conduit le lecteur des origines à la fin des années 1860. Bénéficiant d’un renouveau historiographique récent, les débuts de cette histoire — sous l’Ancien Régime et la Révolution — sont aujourd’hui mieux connus. Marc Martin leur consacre à bon droit ses quatre premiers chapitres et y dresse un panorama complet, évoquant la géographie de cette ancienne presse, ses formats, ses contenus, ses journalistes et imprimeurs, ses publics. Pour la période suivante (1800-1868), Marc Martin a pâti d’une moindre information, ce qui n’empêche pas ses quelques intéressantes observations sur les métamorphoses de « l’objet-journal », sa lecture, l’émergence du métier de journaliste dans les départements : trois chapitres seulement, il y a là manifestement des territoires de conquête pour les jeunes historiens de l’avenir !
Avec la deuxième partie, Marc Martin parcourt des temps mieux connus, qu’il a d’ailleurs contribué lui-même à éclairer par ses travaux antérieurs. Il n’est pas indifférent qu’il débute la période par la loi libérale du 11 mai 1868, qui préfigure la loi du 29 juillet 1881. Dès la fin du Second Empire, entre 1870 et 1880, le nombre des quotidiens provinciaux est passé de 100 à 180. La loi amplifie le mouvement : on en recense 250 en 1885. Dans le même temps, les feuilles hebdomadaires ou bihebdomadaires se multiplient jusque dans les cantons, pour servir les luttes politiques. La fin des années 1860 est aussi et surtout marquée par les débuts de la presse populaire vendue à 1 sou le numéro, dans le Nord et à Marseille ; les années suivantes voient son triomphe ailleurs, d’où des mutations dans la lecture du journal. Cette révolution est prolongée par l’invention des éditions locales, et par voie de conséquence les débuts des grands régionaux, que Marc Martin, bon connaisseur, explique fort bien. On notera l’avance technique de ces grands journaux sur la presse parisienne — par exemple pour l’installation des linotypes. On notera aussi les pages sur « le journalisme provincial au tournant du siècle ». Au-delà du chapitre sur les « quotidiens de guerre (1914-1918) », Marc Martin continue de juxtaposer une histoire de la presse régionale et une histoire de ses journalistes, alors que les grands régionaux achèvent de s’épanouir et de dominer le marché. Les trois derniers chapitres de cette partie sont neufs : ce sont des innovations, avec l’arrivée du sport et de nouvelles formes de présentation où la photographie joue autant de place que dans la presse parisienne, avec aussi l’arrivée de la publicité de marque ; c’est enfin, un développement soigneux et informé sur la presse des « années noires » 1940-1944.
À côté de développements attendus sur « la refondation de la presse provinciale à la Libération », la troisième partie, présente l’évolution vers des groupes régionaux, s’interroge sur l’information locale et les localiers, les incertitudes et les crises auxquelles doit faire la presse quotidienne régionale, depuis le milieu des années 1970. La diffusion s’effrite, alors que le marché publicitaire se révèle fort instable. D’où des difficultés de gestion qu’il faut surmonter. On notera que comme lors des linotypes, la presse quotidienne régionale a lancé et réussi la modernisation de ses imprimeries avant la presse parisienne. Le grand défi que doivent affronter les quotidiens régionaux est l’évolution de leur public. Qui sont aujourd’hui leurs lecteurs, quelles informations faut-il leur proposer pour qu’ils continuent à lire le journal, où et comment les toucher ?
Voilà un livre clair qui rendra des services autant par les sujets abordés que par les questions qu’il formule. En dehors des questionnements du présent et d’une histoire des régionaux et des journalistes désormais assez bien connue, il montre qu’il existe encore bien des moments à éclaircir ou des territoires à parcourir. Marc Martin a présenté les pistes qu’il faut suivre.
Gilles Feyel
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 1, 2003, automne 2003, p. 243-245.