Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Laurent Creton, avec la collaboration de F. Berthet, J.-P. Bertin-Maghit et F. Garçon, Histoire économique du cinéma français, Production et financement, 1940-1959 (CNRS Éditions, 2004). Recension par Patrick Eveno.

Le cinéma suscite de nombreuses recherches, mais sa dimension économique est rarement abordée. Longtemps, les études cinématographiques sont restées centrées sur les aspects culturels ou politiques du cinéma, tandis que l’analyse du système industriel était considérée au mieux comme vulgaire et au pire comme complice de ce même système. Cependant, des chercheurs regroupés au sein de l’Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel de l’université de Paris III Sorbonne nouvelle, ont entrepris depuis une dizaine d’années d’étudier les rouages de l’économie du cinéma. De 1997 à 2003, dans le cadre du Groupe de recherche en économie du cinéma et de l’audiovisuel, ils ont analysé la mise en place et le fonctionnement du système d’avances à la production cinématographique durant les années 1941-1959 qui marquent l’avènement de l’intervention de l’État dans l’industrie cinématographique française.
Une quarantaine d’étudiants ont travaillé sur le fonds d’archives du Crédit national déposé à la BiFi (Bibliothèque de l’image Filmothèque), en particulier sur les dossiers de financement des films qui lui étaient soumis. Par le décret du 19 mai 1941, l’État français demande au Crédit national, établissement financier créé en 1919 pour contribuer à la réparation des dommages de guerre, de gérer pour lui le dispositif de financement de la production cinématographique, qui est menacée de disparition du fait de l’occupation, de la désorganisation qui l’accompagne et de l’aryanisation du cinéma. Pendant près de vingt ans, le Crédit national est donc chargé d’accorder des crédits pour la réalisation de films, en suivant les projets et en se faisant rembourser avec les recettes tirées de l’exploitation. À partir de 1959, le Fonds de développement économique et social se substitue au Crédit national ; le système des avances sur recettes est institué, tandis que le CNC passe de la tutelle industrielle au ministère de la Culture.
La carrière de dix films, depuis Les visiteurs du soir de Marcel Carné (1941) jusqu’à La femme et le pantin de Julien Duvivier (1959), en passant par Casque d’or, Orphée ou Manon des sources, est étudiée dans ce volume. Mais ce livre va plus loin en retraçant une véritable histoire économique du cinéma français, des années trente aux années soixante. La politique mise en place dans le cadre corporatiste par le gouvernement de Vichy est poursuivie avec une remarquable continuité au-delà de la Libération, comme dans de nombreux autres secteurs industriels et culturels.
À l’heure où le système de financement du cinéma français, qui fait souvent figure d’exception, est remis en cause par de nombreux intervenants, il apparaît fort stimulant de se pencher sur la période de la mise en place et du réglage de ce phénomène.
Patrick Eveno
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 3, automne 2004, p. 241.