Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Jérôme Bimbenet, Film et Histoire (Armand Colin, 2007). Recension par Elise Foucault.

Quels liens particuliers le film et l’histoire entretiennent-ils ? Telle est la question qui anime le dernier ouvrage de Jérôme Bimbenet Film et Histoire, paru dans la classique collection U chez Armand Colin. Ce livre propose une série de clés pour analyser le traitement de l’histoire au moyen du médium cinématographique au sens large : l’auteur observe tout autant les films de propagande que les actualités filmées ou les adaptations d’œuvres littéraires comme À l’Ouest Rien de Nouveau. Dans ce cadre, il invite le lecteur à penser les différents modes de représentations filmiques de l’histoire au cours des deux grandes guerres du xxe siècle, car, dans ces périodes, le matériau filmique sur l’histoire est le plus foisonnant et le plus diversifié. Pour Jérôme Bimbenet, l’exploitation de l’image d’histoire par le pouvoir est au cœur de la fabrication du sens : la façon dont les gouvernements s’emparent de ces images, les encouragent ou au contraire les censurent devient un enjeu de masse, plus encore qu’à l’époque où seul l’imprimé servait de support aux mythologies politiques. La nature des images conditionne donc largement le travail du passé par le pouvoir.
Pour le montrer, Jérôme Bimbenet présente simultanément les multiples formes d’écriture de l’histoire. Il ne morcelle pas sa réflexion en organisant son travail en fonction de la nature des images qu’il répertorie mais inscrit l’ensemble dans un cadre où la chronologie reste déterminante. Le contexte est donc essentiel pour penser le film et l’histoire. Le Napoléon d’Abel Gance est abordé au milieu des actualités présentées au début des séances de cinéma à cette époque. Et cet agencement permet au lecteur d’avoir un aperçu plus juste de la place du pouvoir dans l’exploitation et la diffusion de l’image d’histoire.
La seconde qualité de l’ouvrage réside dans la jubilation manifeste que l’auteur a pris à rédiger Film et Histoire. L’ouvrage est riche d’excursus précis, d’invitation à la lecture de philosophes de l’image par exemple. Il suscite sans cesse l’envie de se documenter davantage. Il remplit donc pleinement sa fonction d’invitation à la recherche pour de jeunes chercheurs ou pour des étudiants curieux. Il réalise une synthèse importante de travaux parus dans plusieurs langues, notamment anglaise et allemande. Pour cette raison, il constitue un outil qui va bien au-delà d’une simple analyse des références au passé dans le monde cinématographique.
Ce foisonnement a cependant ses limites, quand l’auteur aborde une réflexion sur la généalogie de la propagande ou s’intéresse à la politique du pape au xve siècle en matière d’images sur de nombreuses pages. Si ces thèmes sont passionnants, ils ne sont ici qu’ébauchés et ne s’intègrent pas tout à fait à un propos sur le cinéma et l’histoire au xxe siècle. Le lecteur est à la fois attiré et séduit par les parenthèses, mais ce parti pris fragilise une analyse de la sacralité qui suppose aussi des mutations dans les contours de l’au-delà en fonction des techniques de médiations et des usages sociaux dont Marcel Gauchet a, en son temps, esquissé les contours. Surtout, ce propos forcé sur les origines contraint le lecteur à ronger son frein pendant une centaine de pages avant d’enfin lire une réflexion sur… le cinéma.
En somme, Film et Histoire est un ouvrage agréable à lire et qui regorge de pistes pour compléter et affiner sa réflexion et où l’anecdote retrouve une fonction cumulative, celle que tiendrait dans un film le deuxième voire le troisième plan, une culture de l’image qui créé ses connivences et ses fascinations.
Elise Foucault
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 10, printemps 2008, p. 255-256.