Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Jeremy Black, The English press, 1621-1861 (Sutton publishing, 2001). Recension par Michael Palmer.

Professeur d’histoire à l’université d’Exeter, dans le sud-ouest d’Angleterre, J. Black est auteur de nombreux ouvrages consacrés à l’histoire du xviie et du xviiie siècle, et publia déjà , en 1987, The English Press in the Eighteenth Century. Ici, il analyse des thématiques de l’histoire de la presse outre-Manche, depuis l’apparition des premiers newsbooks à Londres jusqu’à l’abolition des « impôts sur le savoir », (1853-61, impôts sur le papier-journal et les annonces, et le droit de timbre). Fort de son ancrage en province, et d’une perspective qui n’ignore pas les dimensions européenne et impériale de l’objet étudié, il propose une lecture de la presse et de la société anglaise qui s’avère souvent iconoclaste.
Jeremy Black alterne chapitres chronologiques et approches thématiques. Archives privées et publiques, collections de journaux, mémoires, et l’apport de recherches de provenances multiples, sont mobilisés — le tout dans un ouvrage relativement bref. Nombreux sont les extraits de journaux — notamment ceux de province ; et, en incluant toute une série de vignettes (plus que des études des cas), l’ambiance des milieux où s’activent bien des acteurs touchant de près ou de loin à la presse est évoquée. Il est des chapitres qui intéresseraient tout particulièrement les lecteurs français — tels les enjeux que représentait la couverture de la révolution française par la presse londonienne et provinciale (chapitre 8). La presse britannique deviendrait, sous l’influence du débat ainsi engendré, un espace aiguisé par les partisans ou les adversaires de l’ordre existant et du gouvernement qui l’incarne ; une conscience de classe y affleure…
S’il est exact que la situation de la presse au xviiie siècle est celle qui retient plus l’attention de l’auteur, il n’en demeure pas moins qu’il parvient à proposer une grille de lecture, un choix de problématiques à creuser, qui porte trace de celles avancées par les historiens de la presse du xixe et du xxe siècles. L’attention est d’autant plus retenue que l’un des arguments chers à l’auteur porte sur l’arrivée « tardive » du sens de la modernité. Selon Jeremy Black, il y aurait parfois comme une confusion entre la presse, agent de changement et de la modernité, et la presse, reflet et agent de la culture de l’imprimé. Vecteurs d’une rhétorique encore marquée par la prédication, les publicistes d’avant le milieu de xviiie siècle, voire plus tard encore, emploient des formes d’adresse, sont eux-mêmes influencés par des genres, qui ne s’inspirent pas principalement de la grammaire et de la terminologie du débat politique qu’affectionnent certains journaux de la capitale. À force de centrer sur la bataille pour pouvoir rendre compte des Parliamentary debates (victoire obtenue dans les années 1770), d’autres historiens de la presse auraient par trop occulté des phénomènes moins apparents. L’impact politique de bien des journaux de province se limitait à la création d’un médium, plutôt que la propagation de visions distinctes, antagonistes.
Revisitant les débats sur l’espace public — public sphere — à la lumière des logiques à l’œuvre en province plus encore qu’à Londres, J. Black relève plutôt des mouvements en dents de scie, et une certaine marginalisation des forces profondément contestataires ; à partir de la normalisation qui, liée à des logiques publicitaires, accompagne l’offre rédactionnelle croissant suite à l’abolition des impôts sur le savoir, les journaux de la métropole — les quotidiens surtout — forgeaient somme toute le cadre rapidement devenu usuel du débat politique, centré sur les prestations des principaux parlementaires et dirigeants. Les journaux dominicaux, plus critiques, auraient davantage repris le discours contestataire de la presse « non-timbrée », des années 1830 à 1850. Mais, recherchant plus encore que les quotidiens, un public ouvrier, ils exploitaient par ailleurs les thèmes et les techniques d’écriture dites à sensation, renouant en cela avec une presse à bon marché du début du xviiie siècle.
Ainsi, Jeremy Black, qui débute son ouvrage en insistant sur la thématique du changement, montre surtout les aspects de continuité, ou du moins les leitmotives récurrents. La publicité, la mise en page, la propriété, le parcours professionnel des journalistes, la variété de la périodicité et du rôle des supports étudiés, font également partie des thèmes transversaux d’un ouvrage riche, novateur et iconoclaste. Il s’efforce de faire passer les arguments développés en faveur de la censure. L’imposition d’un « consensus » voulu d’en haut, une vision pessimiste de la nature humaine dont les penchants négatifs ne devraient pouvoir s’alimenter grâce à une « publicité » malencontreuse, les retombées diplomatiques désastreuses d’une presse qui dit pis que pendre de son propre gouvernement, et de ceux d’Altesses de Puissances Étrangères…
Michael Palmer
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 1, 2003, automne 2003, p. 245-246.