Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Jean-Yves Mollier (dir.), Où va le livre ? (La Dispute, 3e édition, 2007). Recension par Cécile-Anne Sibout.
Autour de Jean-Yves Mollier, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin, une douzaine d’auteurs évoquent, dans cet ouvrage, la situation du livre surtout sur le plan marchand, même s’il est clairement rappelé dès l’introduction que son pouvoir symbolique est évidemment supérieur à toute évaluation strictement quantitative. Cette situation est si mouvante que cette 3e édition, faisant suite aux deux précédentes assez récentes (2000 et 2002), est largement refondue. La première partie concerne l’économie du livre. Suivant une démarche intéressante que l’on retrouve tout au long de l’ouvrage, elle remonte loin dans le temps pour éclairer la situation actuelle. Ainsi le premier chapitre traite de l’évolution du système éditorial depuis l’Encyclopédie de Diderot, sous la plume de J.-Y. Mollier : selon lui, la perspective historienne est indispensable si l’on veut comprendre la reconfiguration actuelle du paysage éditorial. En 2002 l’effondrement de Vivendi Universal Publishing a en effet suscité l’apparition d’un second groupe, Editis, plus petit de moitié, et d’une douzaine d’autres groupes (chapitre II). La question cruciale de la distribution (puisqu’en économie l’aval détermine souvent l’amont) est également abordée, notamment par le biais de la vente croissante via Internet, ainsi que celle des diverses formes de concentration, ou encore le choix de l’international fait par les géants de l’édition (en particulier Hachette pour près des deux tiers de son chiffre d’affaires). On effectue également un plongeon dans l’histoire à propos de la censure (chapitre V), car il existe une « exceptionnelle faculté d’Anastasie de renaître quand on la croit inanimée ».
La deuxième partie de l’ouvrage est la plus remaniée. Le chapitre sur la presse de jeunesse et celui sur l’édition en région (avec un hommage appuyé à Actes Sud) demeurent, mais le suivant, « Des clubs à la vente en ligne » décrit et analyse longuement la hausse des commandes sur le Net. Par ailleurs, un nouveau chapitre concerne le livre de poche, dont l’insolente bonne santé est soulignée, avec près de 900 collections en 2006, et un poids spécialement important en littérature. Un autre chapitre est inédit, celui qui traite de la traduction et de la globalisation des échanges, avec cette question préliminaire fondamentale : la mondialisation favorise-t-elle l’hybridation des cultures, ou au contraire n’est-elle que l’expression d’un impérialisme économique s’accompagant d’une hégémonie culturelle ? Certes le Parlement européen a adopté en 1993 une résolution defendant le principe de l’« exception culturelle », mais la part des traductions anglaises ne cesse d’augmenter, même si Internet semble renverser la tendance au profit du mandarin, de l’arabe et de l’hindi. On regrettera, en revanche, que le chapitre traitant du livre politique ait été enlevé, sans être convaincu par l’argument donné selon lequel le rôle de celui-ci est en train de se réduire.
La troisième partie, enfin, aborde la question des acteurs du livre : les lecteurs et leurs pratiques, l’Etat, les auteurs. Retoquant une idée reçue, elle affirme, enquête à l’appui, que la fréquentation des bibliothèques publiques a beaucoup augmenté depuis vingt ans, et qu’au total chaque Français emprunte ou achète une dizaine de livres par an, ce qui évite de sombrer dans le catastrophisme. D’autres questions soulevées par l’ouvrage provoquent en revanche des inquiétudes, en particulier le sort de la librairie traditionnelle dont les atouts, notamment la capacité de conseil aux lecteurs, sont pourtant indéniables. Le dernier chapitre, dû à Robert Chartier, « Le lecteur dans un monde en perpétuelle mutation », malgré son intitulé un peu banal, s’avère passionnant, partant du codex juqu’à l’e-book et à tous les écrans d’un nouveau genre, qui vont permettre une forme nouvelle de construction du savoir, via leurs modalités spécifiques de lecture. Le lecteur sort de ces près de 400 pages intéressé, intrigué aussi, car la question initiale demeure, même si le faisceau des hypothèses s’est entretemps resserré : « Où va le livre » ? La croissance rapide des supports électroniques, patente au dernier Salon du Livre, ou encore le rachat en 2008 d’Editis par le groupe Planeta, avec l’objectif de généraliser le travail à domicile, et celui de ces « intellos précaires » que décrivent Anne et Marine Rambach, mais d’autres évolutions encore font déjà souhaiter une quatrième réédition de l’opus piloté par J.-Y. Mollier.
Cécile-Anne Sibout
Recension publiée dans Le Temps des médias n° 13, Hiver 2009-2010, p. 225-227.