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Ouvrage : Jean-Pierre Bacot, La presse illustrée au XIXe siècle. Une histoire oubliée (PULIM, 2005). Recension par Gilles Feyel.

Voici un ouvrage utile, présentant la naissance et l’évolution de la presse illustrée au xixe siècle, à l’exclusion des feuilles satiriques, fort nombreuses à l’époque. Cette histoire se veut volontairement transnationale, ce dont il faut féliciter l’auteur qui apporte une foule de connaissances nouvelles au lecteur français sur les nombreux magazines édités en Europe jusqu’en Roumanie, Pologne, Lituanie, Scandinavie… À le lire, on mesure combien il est désormais nécessaire, pour mieux comprendre ses succès et ses échecs, de situer la presse illustrée française dans tout un ensemble européen, américain et australien. Quatre « générations » de magazines illustrés sont successivement présentées. Les historiens des médias qui n’ont pas autant négligé cette presse que veut bien l’affirmer Jean-Pierre Bacot, connaissaient déjà les deux premières : celle des magazines de vulgarisation des « connaissances utiles », née à Londres en 1832 avec The Penny Magazine, et naturalisée française avec le Magasin pittoresque d’Edouard Charton et Le Musée des familles patronné par Emile de Girardin (1833), celle des « journaux universels » d’actualité illustrée, lancée toujours à Londres en 1842 avec The Illustrated London News, et tout aussitôt imitée en France par L’Illustration (1843), mais aussi à Leipzig par Die Illustrirte Zeitung. Comme le montre Bacot, les premiers magazines de 1832-1833 s’expliquent par la survie des Lumières et de l’encyclopédisme, encore qu’il ne faille pas confondre L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, ses éditions successives, et L’Encyclopédie méthodique du libraire Panckoucke, énorme monument dressé à la gloire des sciences, des arts et métiers, des manufactures. Ils s’expliquent aussi par un vaste mouvement philanthropique – Société pour l’instruction élémentaire en France depuis 1815, Society for the Diffusion of Useful Knowledge à Londres depuis 1824 – qui débouche sur la Société pour l’Emancipation intellectuelle de Girardin, avec son Journal des connaissances utiles de 1831 et surtout sur la loi Guizot sur l’enseignement primaire en 1833. Ces magazines s’efforcent, par leur prix volontairement bas, par leurs gravures sur bois debout, par leurs articles de vulgarisation de faire entrer les Lumières dans les foyers des gens de métier et chez les paysans les moins pauvres.

Avec la deuxième génération, la presse illustrée entre dans le monde de l’information, en rendant compte de l’actualité. Cette rupture est d’abord signalée par un agrandissement du format qui tend vers celui de la presse quotidienne, abandonnant ainsi le format in-4° plus proche des livres. Il y a là un journalisme plus coûteux, parce qu’il faut payer le timbre de la presse politique et parce que les gravures doivent être plus proches des événements : en dehors des inévitables portraits, elles ont une vie moins durable que celles des premiers magazines et elles sont moins susceptibles de réemploi. Aussi The Illustrated London News et ses épigones s’adressent-ils aux lecteurs traditionnels de la presse quotidienne politique : aristocratie et bourgeoisie. Ce nouveau journalisme, tout à fait différent, ne convient pas à l’un des fondateurs de L’Illustration, Charton, qui préfère s’en retirer, ainsi que l’a bien montré Marie-Laure Aurenche dans son Edouard Charton et l’invention du « Magasin pittoresque », p. 331-332. Bacot insiste avec raison sur la durabilité française du modèle des connaissances utiles. Jusqu’à la fin de sa vie, y compris avec Le Tour du Monde, son autre création de 1860, Charton s’est entêté dans cette formule qui n’a cessé d’avoir du succès. Une durabilité qui contraste avec la quasi-disparition de ce premier modèle chez les Britanniques dès les années 1840, cependant qu’il est fortement concurrencé en Allemagne par ce genre de presse tout à fait particulier, les Familienblättern, à partir de 1852.

La troisième génération de cette presse illustrée est une révélation. Bacot insiste à juste titre sur cette mise au jour qui lui appartient complètement. L’initiative est encore anglaise, avec The Penny Illustrated Paper, lancé en 1861, dans le même format que The Illustrated London News, mais à un prix de vente six fois inférieur. Avec ce journal, la presse illustrée d’actualité s’adresse désormais à un public populaire. Les épigones français en sont Le Journal illustré (1864) et La Presse illustrée (1866), cependant que le modèle paraît avoir essaimé dans le reste de l’Europe. Mieux connue, la quatrième génération est purement et seulement française : c’est celle des suppléments hebdomadaires illustrés des grands quotidiens d’information, avec les suppléments du Petit Parisien en 1889 et du Petit Journal en 1890. Cette stratégie du supplément est une innovation, semble-t-il, du quotidien Le Voltaire, dès 1880, et du Figaro en 1883. Le succès du Petit Journal, supplément illustré, a fait beaucoup d’ombre à ses concurrents, notamment au supplément du Petit Parisien, fort mal connu, que Bacot néglige au profit des illustrations en couleur de son concurrent immédiat. En revanche, nous découvrons avec lui les essais des quotidiens régionaux, par exemple à Lyon, celui du Progrès (1890-1905), et la chaîne des suppléments fabriqués par l’agence Havas entre les années 1880 et 1906 au moins, et publiés sous leur titre par de nombreux quotidiens de province : il y a là une politique de l’agence qu’il conviendrait d’éclaircir.

Au-delà de cette succession de générations et de modèles, Bacot s’efforce de mettre en évidence les fonctions de cette presse. Les premiers magazines véhiculent à travers l’Europe un contenu encyclopédique d’autant plus semblable que les emprunts de gravures ou de textes sont fréquents d’un titre à l’autre. Après cette période de communion de l’Ouest européen dans ces mêmes « connaissances utiles », les magazines de deuxième génération contribuent à forger un espace européen politique dont Bacot montre l’épanouissement avec le « Printemps des peuples » de 1848, ainsi compris et ainsi présenté par L’Illustration et son annexe mémorielle des Journées illustrées de la Révolution de 1848. À partir de la guerre de Crimée (1854-1856), l’idée nationale est de plus en plus véhiculée par les images, pour devenir nationalisme avec la guerre de 1870-1871 : il suffit de comparer le Mémorial illustré des deux sièges de Paris, publié par Le Monde illustré en 1871, avec les Journées de 1848 pour s’en convaincre. Le nationalisme est prêt à s’investir dans le supplément illustré du Petit Journal. Jean-Pierre Bacot n’a pas voulu, semble-t-il, traiter de l’évolution des rapports entre l’image et le texte. Le texte est certainement tout aussi important que l’image dans ces magazines illustrés. L’un ne peut être signifiant sans l’autre. Tous deux portent un message vers le public. Et pourtant, l’image est-elle utilisée de la même manière dans la première génération quelque peu didactique, et dans les générations suivantes ? Quels liens unissent l’image d’actualité et le texte dans la deuxième génération et dans la dernière ? N’y a-t-il pas là une profonde évolution ? On ne dira rien de plus sur les nombreux apports de détail de cette étude, par exemple Le Monde illustré (1857) et L’Univers illustré (1858) lancés à moitié prix de L’Illustration pour casser cette dernière, des magazines de deuxième génération cependant, par exemple aussi les nombreux autres magazines lancés à l’étranger…

À n’en pas douter, cette mise en perspective de la presse illustrée ne pourra laisser les historiens indifférents et ne pourra que les encourager à cultiver ces friches désormais débroussaillées. N’y sont-ils pas vigoureusement et fréquemment incités par l’auteur ? Un compte rendu digne de ce nom ne pouvant s’achever sans quelques réticences, on nous pardonnera tout ce qui suit. Jean-Pierre Bacot se trouve parfois fort dépourvu, alors qu’un travail de vérification des sources aurait pu lui permettre de sortir de certaines incertitudes, voire de rectifier telle ou telle erreur de ses prédécesseurs. Par exemple à propos de cette « Société anonyme du Journal illustré », signalée par Jean Watelet – p. 307, lequel en historien qu’il n’est pas, n’a pas pris la peine de « sourcer » une telle information. Société d’autant plus intéressante, qu’à côté de l’imprimeur Henri Plon, proche de Girardin, on y trouve également les magazines étrangers mentionnés par Bacot p. 125. Ce dernier n’aurait-il pas dû rechercher lesdits statuts sociaux aux Archives nationales, sous-série F18, dossier du Journal illustré, ou ailleurs aux Archives de Paris (Tribunal de commerce) ? Et s’il l’a fait sans succès, n’aurait-il point dû l’indiquer en note ? À l’historien, semble-t-il de faire ce travail ! Mais Jean-Pierre Bacot n’était-il pas « historien », quand il a mené la recherche pour préparer cette étude ? Un détail au passage, p. 122-123 : le tirage « initial » de 136 000 exemplaires proposé par Watelet (p. 309), et celui de 150 000 que je propose de mon côté (p. 122) ne sont point ceux de La Presse illustrée, mais ceux de La Petite Presse en mars et novembre 1869 (voir Documents pour l’histoire de la presse nationale aux XIXe et xxe siècles, Paris, CNRS, 1977, p. 36). Autre détail, les chiffres tirés p. 149 de Jean-Noël Marchandiau à propos de L’Illustration pour 1891 : 37 500 exemplaires vendus, dont 24 334 destinés aux abonnés. Allons voir ledit Marchandiau (p. 326), pour cette même année 1891 : 8 610 ventes au numéro, plus 26 874 abonnements, soit donc un total de 35 484 exemplaires vendus.

Pour ce que nous avons pu contrôler, les notes de bas de page présentent de trop nombreuses erreurs de références. Laissons le malheureux Pierre Albert et son OPA sur le tome 2 de l’Histoire générale de la presse française, alors qu’il est l’auteur du seul tome 3 (notes 47 et 138) ; la note 47 renvoie à la page 327 de ce tome 2, où l’on ne trouve rien de ce que Bacot veut y trouver (ni non plus dans le tome 3). Alors quelle est la page où Bacot a pu lire que « les nouveaux magazines bourgeois vont rapidement devenir un signe de statut social » ? Même phénomène ailleurs : Jean Morienval dont il est présenté une citation de quatre lignes, référencée p. 309, alors que le livre fait 240 pages ; il s’agit plus probablement de la page 209, mais même sur cette page, on ne trouve pas les deux phrases citées, même si l’on y parle effectivement de la stratégie d’occupation de l’espace journalistique par Millaud qui défend à l’aide d’un éphémère Journal de Paris son Petit Journal contre toute concurrence. Et encore ailleurs : note 165, renvoyant au livre de Marchandiau, p. 75, selon lequel « l’inimitié de Napoléon III aurait payé a posteriori, puisqu’elle aurait permis à L’Illustration d’échapper à une interdiction par la Commune » ; il n’existe rien de tel sur cette page, ni non plus ailleurs p. 112 à 115. Faut-il penser que Bacot interprète, souvent finement – là n’est pas le problème –, l’esprit de ce qu’il lit et attribue ladite interprétation aux auteurs qu’il se permet de citer ? Où est la méthode de tout bon historien ? Que de désinvolture ! Michael Palmer n’est pas mieux loti dans la note 240 : ses pages 45-55 ne traitent nullement de la diffusion du Petit Journal en 1911, mais de la conquête du marché provincial par l’agence Havas dans les années 1870-1880. La note 171 renvoie correctement à Pierre Albert, à condition d’indiquer qu’il s’agit de sa thèse, et qu’il se situe, dans la citation exacte qui en est faite, à la fin des années 1870, et non des années 1860 (depuis 1873, Girardin patronne Le Petit Journal). La note 221 ne peut apparemment pas renvoyer à la note 37, comme il est indiqué.

Autres erreurs de détail : p. 12, il n’y eut qu’un seul quotidien satirique (La Caricature était un hebdomadaire) ; p. 30, l’imprimeur Alexandre Lachevardière (non Lachevalière) ; p. 31, Le Musée des familles n’a pas été étudié par F. Hareau, mais par M.-C. Fringand, Un magazine d’éducation populaire : « Le Musée des familles », 1833-1900, mémoire pour le diplôme de l’Institut Français de Presse, Université Paris II, 1990, qu’il faut ajouter à la bibliographie ; p. 45, le roi d’Angleterre George IV et non George V ; p. 49, mieux vaut faire de Paulin l’ancien gérant, plutôt que l’ancien rédacteur en chef du National ; p. 81, la guerre d’Italie se situe en 1859, non en 1860, pour ce qui concerne la France ; p. 115, Judet n’a pas été propriétaire du Petit Journal, il n’a donc pu le racheter ; p. 114 Cassigneul, l’un des gendres de Marinoni (et non Chassigneul).

Quant aux annexes, il faut féliciter l’auteur de ses deux premiers tableaux qui rendront bien des services. En revanche, les sources du troisième sont incomplètes ; seuls les chiffres de tirage du Journal illustré, du Monde illustré, de L’Illustration et de L’Univers illustré proviennent de l’Histoire générale de la presse française ; en dehors de celui du Magasin pittoresque, dont on nous dit qu’il s’agit d’une estimation, d’où viennent les autres ? Probablement du tableau, p. 114, de l’article de Pierre Albert, « Aux origines de la presse à grand tirage : les magazines de lecture populaires sous le second Empire », Regards sur l’histoire de la presse et de l’information, Mélanges Prinet, Paris, 1980, p. 105-118, mais l’on constate là encore quelques erreurs de reproduction. Curieusement, cet article, ni non plus celui de Jean Watelet, publié dans le même recueil, et qui pourtant regardait au premier chef cette étude – « Nationalisme et patriotisme à la fin du xixe siècle dans les suppléments illustrés du Petit Journal et du Petit Parisien », p. 119-127 –, ne sont mentionnés en bibliographie. Les tableaux 4 à 6 sont certes intéressants, mais ils auraient gagné à être nettement plus utilisés dans le chapitre VI. Pourquoi tout ce travail, alors que l’on se refuse à une « description fastidieuse » (p. 179) ? L’ouvrage présente un cahier de quatorze reproductions de « unes » de magazines, ou d’autres gravures. Curieusement, même si elles sont accompagnées de commentaires, peu d’entre elles ont vraiment été mises en perspectives par l’étude. Certes, le livre s’achève sur une bibliographie, mais on peut regretter, au moins pour la presse française, l’absence d’une présentation des collections conservées dans les fonds publics (cotes, lacunes, etc.).

Il nous fallait faire ces quelques remarques avant de redire tout l’intérêt de ce travail synthétique qui rendra bien des services et par les perspectives ouvertes, et par la somme des connaissances présentées.

Gilles Feyel

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 6, printemps 2006, p. 219-225.

Citer cet article : http://histoiredesmedias.com/Ouvrage-Jean-Pierre-Bacot-La.html

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