Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Jacques Thouroude, Ouest-Matin : un quotidien breton dans la Guerre froide (1948-1956) (Éd. Apogée, 2006). Recension par Yves Guillauma.

La Libération a marqué une évolution dans la stratégie du parti communiste pour étendre son influence dans les quatre départements bretons à travers la presse. L’hebdomadaire régional qu’il publiait avant la guerre sous le titre La Bretagne ouvrière, paysanne et maritime, fut remplacé par quatre hebdomadaires départementaux. À ces quatre titres, il voulut ajouter un quotidien au début de 1945. Pierre-Henri Teitgen l’empêcha de mener à bien ce projet, en préférant accorder une autorisation de paraître à une coalition radicalo-socialiste pour compléter l’arc-en-ciel des tendances politiques dans la presse quotidienne bretonne. Les deux partis créèrent La République sociale, dirigée par Yves Lavoquer. Le journal a vu le jour en avril 1945, mais il ne réussit pas à s’implanter véritablement et disparut à la mi-novembre 1947, laissant ainsi un vide que les communistes s’attachèrent à combler assez rapidement. À la fin octobre 1948, ils lancèrent un autre titre, Ouest-Matin, dont Jacques Thouroude, ancien professeur d’histoire-géographie dans un lycée professionnel en Ille-et-Vilaine, vient d’écrire l’histoire.
Contrairement à la plupart des journaux communistes dont l’identité est généralement définie dans le sous-titre ou par la personnalité de son directeur politique, Ouest-Matin essaya d’abord de donner le change, notamment avec son directeur, Henri Denis, professeur à la Faculté de Droit à l’Université de Rennes. Avec beaucoup de perspicacité, Jacques Thouroude présente celui-ci par l’analyse de ses engagements et de son parcours. Proche du gouvernement de Vichy durant l’Occupation, notamment par ses travaux sur le corporatisme, il fut pressenti à la Libération, selon certaines sources, pour représenter le MRP aux élections cantonales de septembre 1945. Finalement, il se laissa attirer par le parti communiste dont il défendit les positions aux deux référendums sur la Constitution en 1946. Sa participation à la création de l’Union des Chrétiens Progressistes (UCP) qui prônait une collaboration étroite des chrétiens et des communistes dans les luttes politiques et sociales, fut un autre signe qui ne trompa pas les observateurs attentifs.
La stratégie d’avancer masqué dans un premier temps, de manière à séduire un lectorat aussi large que possible, fut rapidement découverte, et les colonnes du quotidien furent bientôt remplies par les mots d’ordre et les combats du parti communiste. À la suite d’une lecture attentive de la collection du journal, l’auteur les a regroupés autour de quatre thèmes : la lutte pour la paix, la défense du modèle communiste, la dénonciation des guerres coloniales en Indochine et en Algérie, la promotion de la culture et des valeurs socialistes.
Dans ces combats, Ouest-Matin affronta des confrères solidement implantés, en particulier Ouest-France et le Télégramme de Brest, avec qui il polémiqua régulièrement dans l’espoir de ternir leur image auprès de leur lectorat. Il se heurta aussi à une hiérarchie catholique, soucieuse de préserver ses fidèles de l’influence pernicieuse du parti communiste et de leur montrer les limites d’une politique de la main tendue. Enfin, les nombreux procès qui lui furent intentés, en particulier par le gouvernement, finirent de le déstabiliser. Son compte d’exploitation ne fut jamais positif et, finalement, malgré les nombreux appels réitérés aux militants pour sauver leur journal, le parti communiste dut se résoudre à arrêter sa parution en juin 1956.
Le lecteur appréciera de trouver tout au long de ce livre, au bas de chaque page, de nombreuses notes qui viennent éclairer ou compléter une argumentation conduite avec rigueur et sérieux. En revanche, il regrettera l’absence, à la fin du volume, des sources utilisées et de la bibliographie consultée, ainsi que d’un index des noms cités qui auraient contribué grandement à accroître encore l’utilisation de cette étude.
Yves Guillauma
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 8, automne 2007, p. 244-245.