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Ouvrage : Franck Rebillard, Web 2.0 en perspective. Une analyse socio-économique de l’Internet (L’Harmattan, 2009). Recension par Laurent Gago.

Le titre de cet ouvrage, Web 2.0 en perspective, pourrait prêter à confusion et en décourager plus d’un. Or, loin des - nombreux - écrits techniques et descriptifs (voire prospectifs) du web, l’auteur propose une approche des plus audacieuse : une déconstruction des discours technophiles liés aux usages du web 2.0, dont la formule datant des années 2000 prophétise une « révolution », mais aussi une démarche méthodologique critique permettant d’appréhender les transformations médiatiques. Franck Rebillard livre en effet une démonstration très éclairante, mettant d’une part en avant la notion de « convergence » entre les industries des télécommunications, de l’informatique et les industries de la culture et des médias, faisant d’Internet « un dispositif de communication total » et défendant d’autre part l’idée d’une continuité des supports médiatiques, en voie d’hybridation, et non inscrits dans une logique de substitution.

Constitué de deux parties distinctes, cet ouvrage permet d’appréhender les modifications des biens culturels numérisés. L’auteur déconstruit, dans un premier temps, les discours technocentrés tenus à l’égard du web 2.0 en isolant les arguments des défenseurs et en démontrant les limites de certaines analyses idéologiques structurées autour de « couples d’oppositions » : « verticalité de la diffusion / horizontalité des échanges ; passivité de la consommation mass-médiatique / activité de l’internaute ; contrôle industriel de la production éditoriale / liberté de la création amateur. » Au regard de ces observations, il montre que le fonctionnement classique des industries médiatiques n’est pas complètement éradiqué mais potentiellement altéré, notamment avec les productions amateurs grandissantes. Un regard nuancé, où la coexistence des pratiques prévaut sur la substitution, et l’interpénétration sur la confrontation, est ainsi exposé.

Dans une deuxième partie, un ensemble de propositions de nature plus théoriques est présenté. D’une part, Franck Rebillard propose d’ôter le voile idéologique de la fluidité de la communication qui recouvre très souvent les TIC via les traditions idéologiques autour de la liberté de communication héritées de la cybernétique de N. Wiener, la pensée Saint-simonienne (la religion des réseaux), et enfin le retournement idéologique de la contre-culture des années 1960 et 1970, en reprenant le « nouvel esprit du capitalisme » tel qu’il est analysé par L. Boltanski et E. Chiapello (idée d’un internaute autonome, créateur individuel). D’autre part, l’auteur présente un socle conceptuel nécessaire à l’analyse d’Internet sur le temps long. En s’appuyant sur les modèles de P. Flichy et de N. Elias, il forge le concept de « configuration socio-technique ». Ce dernier permet de relier les transformations sociales conjoncturelles à des évolutions sociales historiques plus structurelles, mais permet également de penser les TIC dans une perspective cumulative (supports se nourrissant des phases antérieures). Cette orientation de type interactionniste, où les jeux d’acteurs de la construction de l’objet sociotechnique ont un poids non négligeable, dégagée de l’idéologie déterministe, permet d’approcher de manière prudente la notion de « révolution », pour privilégier celle d’évolution.

Limpide et accessible, ce livre passionnant répond à une carence méthodologique que les enseignants chercheurs mais aussi les citoyens sont parfois bien en peine de trouver, voire d’accepter. Comme le dit l’auteur, « la volonté est celle d’une intervention dans le débat. Certains passages sont des prises de positions allant à l’encontre des analyses faciles et simplistes de l’Internet ». En cela, son travail mérite d’être salué. A lire absolument !

Laurent Gago

Recension publiée dans Le Temps des médias n° 13, Hiver 2009-2010, p. 243-244.

Citer cet article : http://histoiredesmedias.com/Ouvrage-Franck-Rebillard-Web-2-en.html