Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Alice Krieg-Planque, La Notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique (Presses universitaires de Franche-Comté, 2009). Recension par Claire Blandin.

La « formule » est pour Alice Krieg-Planque un ensemble de formulations qui cristallisent des enjeux politiques et sociaux. L’exemple du terme « mondialisation » est donné en introduction. Pratiquant l’analyse de discours dans une perspective pluridisciplinaire, l’auteure montre l’intérêt de l’étude de ces phénomènes de reprise et de circulation discursifs, tant il est vrai que les acteurs sociaux organisent par les discours des rapports de pouvoir et d’opinion. L’ouvrage présenté ici est le fruit du premier chapitre inédit de sa thèse de doctorat portant sur l’émergence et les emplois de la formule de « purification ethnique » dans la presse française entre 1980 et 1994. Sa publication répond aux demandes d’étudiants et de collègues souhaitant bâtir un arrière-plan théorique pour mettre en place un travail d’analyse sur corpus. La démarche intéresse les historiens des médias en ce qu’elle propose la notion de formule comme ressource pour l’analyse des discours politiques, médiatiques et institutionnels.
Ayant fait le bilan des travaux sur les usages socio-politiques du lexique, l’auteure souligne tout d’abord l’importance de cette notion d’usage, puisqu’il n’existe pas de formule « en soi » mais « un ensemble de pratiques langagières et des rapports de pouvoir et d’opinion, à un moment donné, dans un espace public donné ». En étudiant le destin formulaire d’une séquence verbale, le chercheur s’intéresse à une période d’exception dans l’histoire d’un mot : le moment où il se met à fonctionner comme formule dans l’espace public. L’auteure insiste, de fait, sur l’intérêt des histoires de mots sur le temps long ; car elles permettent de repérer les zones de turbulence et les phases critiques de leur parcours.
Des travaux de Jean-Pierre Faye (philosophe et poète qui étudie la genèse puis le figement de la formule « Etat total »), émerge pour l’historien l’importance du récit. En effet, si l’histoire produit ses propres concepts (elle est son métalangage), les mots utilisés par l’historien sont aussi ceux produits à un moment donné de l’histoire. Ce sont ensuite les outils linguistiques de description et d’interprétation de la notion de formule, avec les travaux de Marianne Ebel et Pierre Fiala, qui sont présentés. Après avoir étudié des corpus de discours politique, ils estiment que la formule s’apparente à un référent social qui condense une masse considérable de discours. Elle se construit en objet polémique et devient un passage obligé du débat.
A partir des travaux antérieurs qu’elle a décrits, et de l’expérience de ses propres recherches, Alice Krieg-Planque propose ensuite sa définition des propriétés de la formule : son caractère figé, le fait qu’elle soit une notion d’analyse du discours, et non de linguistique, son fonctionnement comme référent social et enfin sa dimension polémique. Elle lie la notion à celle d’espace public et s’interroge sur le rôle des médias dans la création et la mise en circulation des formules.
Cette dernière dimension intéresse bien sûr particulièrement les spécialistes de la presse. La responsabilité des médias est en effet souvent dénoncée dans la mise en circulation de mots et de formules aux effets dévastateurs. Or l’auteure recommande de ne pas surestimer l’importance des médias dans les processus de construction des formules. « Plateformes », les médias sont rarement des « lanceurs » : les formules émergent dans le discours d’acteurs qui ne sont pas journalistes. C’est toute la question du rôle des médias dans la vie politique, sociale et culturelle qui est ainsi reposée, ou plutôt de la distance entre leur rôle réel et celui que leur attribuent les observateurs… au fil du temps.
Claire Blandin
Recension publiée dans Le Temps des médias n° 13, Hiver 2009-2010, p. 230-231.