02 - Publicité, quelle histoire ?
Véronique Pouillard
La puissance du modèle américain. Les agences publicitaires dans la Belgique de l’entre-deux-guerres.
Le Temps des médias n°2, printemps 2004, p.49-58.Dans la Belgique de l’entre-deux-guerres, la publicité, qui devient progressivement une activité économique à part entière, est vue par les professionnels eux-mêmes comme une profession américaine. L’influence française n’est pourtant pas en reste. Lorsque la crise économique survient, un retour à l’identité nationale belge, mais aussi un intérêt croissant pour le savoir-faire français apparaissent, aux yeux de certains, comme des alternatives potentielles à l’américanisation croissante du secteur publicitaire.
La Belgique est un petit marché ouvert aux influences extérieures. La coexistence de trois régions, francophone, néerlandophone et germanophone, en fait un espace réceptif aux influences et aux modèles culturels [1], en particulier ceux des pays limitrophes. De fait, plutôt que de parler d'une histoire de la publicité nationale, mieux vaut envisager cet aspect sous un angle international [2]. De récentes études ont montré combien la traduction constitue, en publicité, un enjeu capital, et à ce titre, les pays multilingues forment des cas particuliers dans le domaine publicitaire [3]. Le multilinguisme apparaît d'emblée comme un obstacle dans l'adaptation des messages publicitaires, fût-ce au niveau des coûts. Le fractionnement du marché intérieur, qui résulte de cette situation, a pour corollaire une ouverture plus large à l'influence des agences étrangères, singulièrement américaines, comme le montre le Canada [4].
En Europe, la Belgique offre un cas exemplaire pour l'étude de ces problématiques au niveau publicitaire, tant par son évolution diachronique que par sa situation plus récente de marché-test à l'échelle européenne. Les publicitaires belges bénéficient de rapports de proximité avec leurs collègues français, néerlandais, allemands, voire anglais. En outre, les agences américaines s'installent très tôt en Europe. L'étude de la publicité en Belgique pose donc en même temps la question de l'existence d'une publicité belge et de la prégnance des influences extérieures, américaine ou française tout particulièrement.
En Belgique, si la moitié nord du pays est en principe néerlandophone, la langue véhiculaire, utilisée en politique, dans l'administration, les affaires et les études, est le français. « Le français garde en Belgique un prestige inaltérable » [5], affirme le grammairien Joseph Hanse en 1962. De fait, les acquis du mouvement flamand sont lents à se réaliser dans la pratique, tant et si bien que le français reste longtemps la langue la plus utilisée, notamment par des publicitaires [6]. Revues et traités de publicité rédigés en flamand n'apparaissent que tardivement en Belgique, bien après le développement de la profession aux Pays-Bas, avec lesquels les publicitaires belges n'entretiennent que peu de rapports [7]. Les agences de publicité installées en Flandre, avec Anvers pour centre [8], utilisent très longtemps le français dans la plupart de leurs affaires. La publicité elle-même, au cours de l'entre-deux-guerres, est souvent rédigée en français et son adaptation au flamand pose de réels problèmes, notamment en termes d'impact sur les cibles [9]. Enfin, l'affichage publicitaire, même en région flamande, peut être en néerlandais, en français ou bilingue [10] – ce qui n'est plus le cas aujourd'hui
J. Walter Thompson à la conquête du marché belge
On a pu affirmer que les agences de publicité américaines s'étaient installées en Belgique à la suite du plan Marshall [11]. Le programme d'aide américaine à la reconstruction de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale n'a pourtant contribué qu'à l'accélération d'un processus largement antérieur. En effet, les agences américaines prennent une place décisive sur le marché belge dès l'entre-deux-guerres, en raison de leur politique d'expansion internationale. Parmi les premières agences américaines installées en Belgique, on relève la présence d'Erwin, Wasey & C°, Lord & Thomas et, surtout, de J. Walter Thompson.
En 1864, la future agence de publicité J. Walter Thompson s'ouvre à New York. L'entreprise, après s'être fortement implantée sur le territoire américain en développant son expertise dans la publicité de presse, poursuit son expansion en se calquant sur celle du commerce extérieur américain. Outre ses divers sièges ouverts aux États-Unis, la société s'installe à Londres en 1899. Après avoir servi un temps de bureau de correspondance, Londres devient le premier port d'attache de l'agence en Europe, mais aussi vers les colonies et le Commonwealth, jouant un rôle de relais pour ses clients américains désireux de poursuivre une expansion internationale [12].
Les agences de publicité prennent le relais des producteurs. General Motors, lors de l'implantation de ses chaînes de montage dans la banlieue d'Anvers en 1924, importe une nouvelle conception de l'industrie automobile, symbolisant le passage d'une production encore relativement élitaire à l'industrie de masse. Le constructeur, dont les budgets américains sont gérés par J. Walter Thompson, souhaite étendre sa politique semblable à l'étranger. Pour répondre à cette demande, l'agence suit son client et installe un bureau à Anvers en 1927 [13], expansion qu'elle mène conjointement dans d'autres villes européennes, avant d'étendre l'influence de General Motors, mais aussi de Libby's, Coca Cola, Pond's, Kodak ou Lever, au Canada, en Amérique du Sud, et, plus tard, en Asie et en Afrique.
L'agence J. Walter Thompson s'installe donc en Belgique en 1927 et, le 2 avril 1930, la J. Walter Thompson Company S.A. est déclarée comme société belge. Son capital est réparti en cent parts, chacune d'une valeur de mille francs belges, somme relativement restreinte et qui ne sera pas augmentée, ce qui montre d'emblée le parti-pris de l'agence, soucieuse de ne pas alourdir ses structures à l'étranger [14]. Dans le courant de la même année, la raison sociale de l'entreprise est modifiée : elle devient « Agence Thompson S.A. » [15] en français, alors que l'agence est installée à Anvers, soit dans la partie néerlandophone du pays. De fait, le français reste la langue dominante dans le monde de la publicité belge, y compris en Flandre [16]. L'agence américaine développe une politique commerciale particulièrement efficace ; elle dispose d'une vingtaine d'années d'avance sur les agences belges, sur le plan de la recherche surtout. Avant même d'être officiellement établie comme société belge, la J. Walter Thompson Company, à la fin des années 1920, fait réaliser par des délégués de son siège de Londres une vaste étude pour déterminer la capacité de consommation automobile du marché belge [17].
La règle qui tend alors à s'imposer, tant parmi les agences belges qu'étrangères, et qui prévaut toujours aujourd'hui [18], est de ne travailler que pour un seul client par secteur ou par type de produit. Les premières agences belges à services multiples suivaient déjà cette méthode. Cependant, l'agence Thompson mène sur le marché belge une politique de sélection des clients beaucoup plus agressive encore. Pour obtenir le meilleur chiffre d'affaires possible en Belgique, marché étroit, l'agence n'a pas droit à l'erreur. La direction belge s'efforce donc de regrouper dans sa clientèle les meilleurs annonceurs de chaque secteur et mène une politique active de recherche, tant au niveau du marché que des entreprises. Elle contribue de ce fait au développement de nouveaux standards européens en la matière. En suivant les directives, énoncées par son directeur Stanley Resor dès le début du XXe siècle, l'agence Thompson élimine les mauvais payeurs, les sociétés de taille trop réduite ou déficitaires. Ses services de recherche enquêtent également sur des entreprises qui, n'ayant pas encore fait de démarche auprès de l'agence, constituent de bons annonceurs potentiels pour l'espace belge ou européen.
La politique de gestion de la clientèle selon l'agence Thompson rompt avec une pratique ancienne en Belgique. Jusqu'ici, face à des clients – aux faibles budgets – qu'ils devaient démarcher, les publicitaires restaient en situation de demande [19]. Soutenue par sa structure internationale, l'agence Thompson renverse la donne et se met en position de force par rapport aux annonceurs, sa structure internationale lui permettant de s'assurer la clientèle d'une grande entreprise avant même d'ouvrir ses portes, mais aussi d'obtenir de plus grandes facilités de crédit auprès d'organismes bancaires transnationaux.
Obstacles nationaux
La grande difficulté rencontrée par l'agence réside dans les budgets de ses clients. D'une manière générale, le discours des agences belges est le même depuis le début du siècle : les budgets concédés par les annonceurs sont trop réduits. Ce jugement se trouve vérifié par l'agence Thompson. Comparant la situation de l'agence en Belgique et en France, ses responsables estiment qu'il leur faut dix clients, en Belgique, pour atteindre le budget d'un seul en France. La taille du marché belge constitue donc un lourd handicap, traduit dans la configuration de la branche belge de l'agence. Le personnel employé à Anvers est, en effet, très restreint : selon la direction, c'est un obstacle à l'organisation rationnelle de son fonctionnement.
Au problème de l'étroitesse des marchés, s'ajoute celui du multilinguisme. [20] Cette difficulté relève du statut particulier de la Belgique, mais également de la place centrale occupée par le bureau d'Anvers dans la géographie européenne de l'entreprise. En effet, l'agence anversoise supervise le travail du bureau hollandais et gère les intérêts de J. Walter Thompson International en Suisse, en Italie, Hongrie, Yougoslavie, Roumanie et Bulgarie. En mars 1930, le directeur de l'entreprise se souvient avoir placé de la publicité en français, flamand et néerlandais, allemand, italien, serbe, roumain, russe, hongrois, grec, turc, croate, slovène, bulgare et serbe [21].
La France, l'Allemagne, l'Espagne, et bien sûr l'Angleterre sont, en revanche, totalement indépendantes de l'agence anversoise. La filiale belge est donc chargée d'adapter la publicité des annonceurs qui, tels General Motors ou Ford, souhaitent étendre leurs campagnes en Europe centrale, en Suisse et en Italie. Obtenir des résultats tangibles en matière de consommation reste cependant difficile, en particulier dans les zones rurales où, sans l'encouragement du gouvernement à la consommation, la publicité seule ne suffit pas à créer de nouveaux besoins [22]. En outre, les budgets traités au niveau local restent réduits, et le paiement à la commission devient dérisoire dans les pays où l'espace média est très bon marché, et le travail paradoxalement élevé.
À la limitation des budgets, à l'obstacle linguistique, s'ajoute la question des formats de publication. Ces derniers, comme la mesure de l'espace publicitaire sont, en effet, extrêmement divers, ce qui nécessite un constant travail d'adaptation au moment de finaliser les campagnes de presse – média de prédilection de l'agence américaine. L'expansion de l'entreprise doit donc passer par la standardisation, si elle veut offrir aux annonceurs américains installés en Belgique la qualité publicitaire à laquelle ils sont accoutumés. En effet, les annonceurs de l'agence d'Anvers, qui visent en particulier l'Europe centrale, sont majoritairement des entreprises étrangères, et en premier lieu américaines.
Dès les années 1930, la direction de l'Agence Thompson perçoit la nécessité d'adapter les messages publicitaires. Il ne s'agit pas seulement de traduction : il faut aussi tenir compte des caractéristiques culturelles nationales, voire régionales. Révélateur, à cet égard, est l'exemple de la Flandre et des Pays-Bas où est installé un bureau, avec deux équipes distinctes, l'une pour les campagnes flamandes, l'autre pour les campagnes hollandaises. La publicité destinée à l'une de ces régions ne convient pas forcément à l'autre ; l'usage du vocabulaire, l'humour et les références culturelles diffèrent. Or, les cadres internationaux de l'agence, avec l'appréhension de ces difficultés, perçoivent très vite l'intérêt d'une politique adaptée à l'échelon local.
En choisissant Anvers comme point de rayonnement, la direction américaine de l'agence opère un choix géographique et pratique. Elle sait que les lois sociales et la fiscalité restent d'un coût assez élevé en Belgique. L'entreprise doit en tenir compte, sans remettre en cause ce qu'elle désigne elle-même comme ses standards de fonctionnement. Son atout reste sa structure légère, facilement exportable, pour autant qu'un annonceur suffisamment solide lui serve de premier appui. J. Walter Thompson avait accompagné Libby, son client américain, au Royaume-Uni, pour y vendre des fruits en conserve. Le processus s'était prolongé avec General Motors en 1927, lorsque le constructeur s'était lancé dans l'implantation des chaînes de montage.
Le projet de l'agence J. Walter Thompson consiste donc à offrir un service délibérément standardisé au niveau mondial. Les agences belges sont incapables de rivaliser avec elle, même si elles continuent – et ce, au-delà de la Seconde Guerre mondiale – à travailler pour des annonceurs américains. Au bout du compte, en dépit d'un objectif financier fixé par la direction new-yorkaise et jamais atteint, l'agence Thompson est arrivée, en moins de dix ans, à se créer une place enviable en Belgique. Encouragée, la direction internationale de l'agence s'apprête même, à la fin des années 1930, à s'implanter en France. À cette époque, pour les annonceurs, agence de publicité rime nécessairement en Belgique avec le nom de Thompson [23].
La mutation de la publicité belge
Les conséquences de l'installation, puis de la politique menée par l'agence Thompson sont multiples. Premièrement, à partir du milieu des années 1930, commence le règne des agences américaines en Belgique. Bien que l'on ne dispose pas de données précises pour les agences avant les années 1950, il est établi de manière certaine que l'agence Thompson est devenue, vers 1936-1937, la première agence du pays en termes de chiffre d'affaires. Les résultats de l'agence anversoise sont pourtant jugés insuffisants par la maison mère new-yorkaise. Au-delà de considérations stratégiques, cette position montre la force d'un réseau international, capable de mener une politique à long terme. L'exemple de la Seconde Guerre mondiale l'illustre : alors que les affaires sont devenues catastrophiques, l'agence conserve une représentation en Belgique, ce qui lui permet, la paix revenue, de s'affirmer au premier rang des agences.
Avec l'implantation de Thompson et des autres agences américaines, l'amateurisme n'est plus de mise, ni du côté des publicitaires, ni du côté des annonceurs. Quant au consommateur, il découvre les produits américains ; et ce, bien avant le plan Marshall. [24] Le travail créatif des campagnes de l'agence, réalisées pour des marques américaines, est conçu, la plupart du temps, dans les bureaux new-yorkais. La contribution essentielle de la branche belge consiste alors à adapter la mise en page et de concevoir la forme finale du texte. Mais l'agence travaille aussi pour des annonceurs locaux, des marques belges bien distribuées au niveau national, pour lesquelles elle réalise des campagnes sur le modèle américain, dans la presse surtout [25].
Ces conséquences seront aussi d'ordre culturel, puisque l'agence joue un rôle fondamental dans la diffusion de certains produits et d'arguments de vente nouveaux, non seulement en Belgique, mais sur tout son « territoire » européen. L'agence apparaît bien comme un vecteur d'internationalisation, voire de globalisation. Alors que les structures lourdes de l'industrie impliquent une nécessaire adaptation du modèle américain au territoire européen, et malgré les obstacles à l'implantation d'une publicité standardisée, il n'en reste pas moins que le secteur publicitaire apparaît comme un lieu privilégié d'implantation des méthodes, de l'économie et de la culture américaine [26]. La structure légère des agences américaines qui fonctionnent à l'étranger avec un personnel très réduit et, du moins jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, produisent une publicité conforme aux standards internationaux, permet l'importation du modèle américain, non seulement sur le plan économique, mais aussi dans la formation d'une culture de consommation [27].
On sait que l'installation d'entreprises américaines dans le pays a entraîné la faillite de certains producteurs belges, en particulier dans le secteur automobile. La venue, à Anvers, de Ford, en 1922, et de General Motors, en 1924, est un drame pour l'industrie automobile belge. [28] Face à cette situation, les intellectuels belges ne dénoncent guère les liens entre le développement de l'industrie de masse, en particulier dans le secteur automobile, et l'apparition des techniques modernes de marketing américaines L'origine des critiques doit être recherchée ailleurs, et singulièrement dans le milieu publicitaire lui-même. Malgré des prises de position généralement peu critiques à l'égard du modèle américain, certains professionnels rendent les Américains et leurs méthodes, parfois caricaturées, responsables du marasme économique qui survient à la fin des années 1920. Certes, il s'agit de cas isolés, résultant davantage de divisions internes dans la conception de la profession, que d'une critique structurée et argumentée. La majorité des professionnels, notamment à travers leurs associations, s'appliquent à désamorcer les critiques. Mais, les évoquant, ils s'en font aussi l'écho : « Il fut un temps, et ce temps n'est pas encore si éloigné de nous, où il suffisait d'annoncer l'origine américaine vraie ou supposée d'une mécanique ou d'une méthode, pour provoquer [...] un engouement, souvent aussi prodigieux qu'irraisonné. En ces temps, le mot américain était devenu, pour beaucoup d'Européens, le synonyme de progrès et de perfection. Mais la crise survint et, comme elle arriva également d'Amérique, un snobisme contraire eut tôt fait de discréditer le mot américain, renversant l'idole. » [29]
La crise économique consécutive au krach boursier d'octobre 1929, dont les effets touchent la Belgique à partir de 1931, provoque une fracture pour les publicitaires belges. Les annonceurs, dont une partie appréciable reste alors réfractaire à la publicité, se voient obligés de restreindre considérablement leurs frais généraux et la publicité est, selon les professionnels, l'un des premiers postes sacrifiés. Dans un tel contexte, les écrits des publicitaires prennent plus que jamais la forme du discours légitimant, où se déploie une rhétorique destinée aux annonceurs et fondée sur la mise en évidence du « retard belge » en matière de commerce et de publicité. Pourtant, si la crise économique constitue un événement traumatique, elle ne brise pas l'activité publicitaire. Les agences bénéficient de leur structure, comparativement beaucoup plus légère que celle des industries de production, et de fait, la croissance du nombre d'entreprises [30] de publicité en Belgique reste assez stable pendant l'entre-deux-guerres, pour la période de crise ne marquant qu'un léger palier [31].
Considérable, l'influence américaine sur la publicité belge explique que le « retard belge », souvent déploré par les publicitaires, soit en partie compensé entre la fin des années 1930 et les années 1950. Au début des années 1920, les agences à services multiples sont peu nombreuses en Belgique et les initiatives professionnelles restent le fait d'un très petit groupe. Il n'existe aucune association professionnelle d'ampleur nationale avant 1921 [32] ; la Belgique a sans doute été le dernier pays d'Europe à franchir le pas. À cette époque, les conflits entre techniciens et courtiers déchirent la profession et entravent son évolution. La puissance des groupes de presse contraste avec la fragilité des agences. Avant l'arrivée de J. Walter Thompson, les plus importantes d'entre elles sont attachées à des journaux ou à des entreprises de vente d'espace, comme Rossel, agence belge, et Havas, agence française, qui détiennent un quasi-monopole sur la presse du pays. Dans un marché divisé [33], l'absence d'agences belges à forte identité et langage publicitaire propre, ouvre une voie royale aux publicitaires américains, d'autant que l'intérêt des pouvoirs publics reste faible pour la publicité, en dehors des questions de taxation de l'affichage [34]. Paradoxalement, ce contexte permet à la Belgique de combler son retard. Non seulement les agences américaines structurent et stimulent le marché national, mais leur présence, et singulièrement celle de Thompson, joue le rôle d'aiguillon. Elle incite les agences locales à développer des services similaires (études de marché, campagnes « à l'américaine »), mais aussi à poursuivre dans la voie d'une certaine spécificité, en particulier dans le choix des médias et la construction des messages. De fait, les premières grandes agences belges s'ouvrent à la fin des années 1930 : leur âge d'or culminera pendant l'Exposition universelle de Bruxelles en 1958.
[1] Sur les transferts culturels cf. Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, PUF, Paris, 1999 ; pour la Belgique : Ginette Kurgan (dir.), Laboratoires et réseaux de diffusion des idées en Belgique (XIXe-XXe siècle), Bruxelles, Éditions de l'Université libre de Bruxelles, 1994.
[2] Véronique Pouillard, « L'école belge de publicité », Market Management, 3 (numéro spécial sur les auteurs de publicité dirigé par Luc Marco), décembre 2003, 27 p.
[3] Beverly J. Adab, “The Translation of Advertising : A Framework for Evaluation†, Babel, International Journal of Translation, 47(2), 2001, p. 133-157 ; Mathieu Guidère, « Aspects de la traduction publicitaire » Babel, International Journal of Translation, 46 (1), 2000, p. 20-40.
[4] Cf. Luc Cote, Jean-Guy Daigle, Publicité de masse et masse publicitaire : le marché québécois des années 1920 aux années 1960, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, 1999 et Russel Johnson, Selling Themselves. The Emergence of Canadian Advertising, Toronto-Buffalo-Londres, University of Toronto Press, 2000.
[5] Joseph Hanse, « De quoi s'agit-il », in Le bilinguisme en Suisse, en Belgique et au Canada, Bruxelles, Les publications de la Fondation Charles Plisnier, 1963, p. 33.
[6] Els Witte, « Cinq ans de recherches se rapportant au problème de Bruxelles », in Le bilinguisme en Belgique. Le cas de Bruxelles, Bruxelles, Éditions de l'Université libre de Bruxelles, 1984, p. 1-25 ; M. De Vroede, “Language and Education in Belgium up to 1940†, in J. J. Tomiak (dir.), Schooling, Educational Policy and Ethnic Identity, Comparative Studies on Governments and non-dominant Ethnic Groups in Europe, 1850-1940 (vol. 1), Dartmouth Publishing Company, London New York, 1991, p. 120-121.
[7] Alfons Marchant, Reclametechniek en gebruiksgraphiek, Anvers, 1940. Meer en beter. Tijdschrift over reclame, 1er année, 1, janvier 1927.
[8] On distingue d'emblée trois zones de développement de la publicité en Belgique : Bruxelles, Anvers au nord et Liège au sud du pays.
[9] Guido Fauconnier, Struktuur, werking en organisatie van het reklamebedrijf in Belgià « , Louvain, Universitaire Boekhandel Uystpruyst, 1962, p. 260-263.
[10] Meer en beter. Tijdschrift over reclame, Anvers, n° 1, janvier 1927, p. 1.
[11] Jean-Patrick Duchesne, Art & Pouvoir. L'affiche en Belgique, Bruxelles, Labor, 1989, p. 75.
[12] À propos du rôle du bureau de J. Walter Thompson à Londres dans le développement de la publicité américaine en Europe, voir en particulier : Douglas C. West, “From T Square to the T Plan : The London Office of the J. Walter Thompson Advertising Agency 1919-70†, Business History, Frank Cass, Londres, XXIX (2), avril 1987, p. 199-217.
[13] Jeff Merron, “Putting Foreign Consumers on the Map : J. Walter Thompson's Struggle with General Motor's International Advertising Account in the 1920s†, Business History Review, 73, automne 1999.
[14] J. Walter Thompson Company's Archives, John Hartman Center, Duke University, Treasurer's Office Records, Antwerp, Belgian Corporation, J. H. Cerny, Anvers, Ã D. C. Foote, New-York, 24/2/1934.
[15] JWT, TOR, Antwerp, Belgian Corporation, Arthur E. Hartzell, Paris, Ã D. C. Foote, New-York, 14/12/1932.
[16] Ceci durera jusqu'aux années 1980. Cf. Jacques Mercier, Karl Scheerlinck, Made in Belgium. Un siècle d'affiches belges, La Renaissance du livre, Bruxelles, 2003, p. 115.
[17] JWT, Microfilm collection, 16 mm series, 223, Belgium 1927-1929, Car owners.
[18] Cette règle théorique peut être contournée, par exemple au moyen de la création d'agences filiales.
[19] Voir, à cet égard, les doléances des agences de publicité belges dans le Bulletin de la Chambre syndicale belge de Publicité, Bruxelles.
[20] “However, we recognize the difficult problem wich you have in operating in a country where all appropriations are very small and it is necessary to handle a large number of clients and prepare advertising in several languages†. JWT, TOR, Antwerp, General, D.C. Foote, New-York, à R.P. Jeanneret, Anvers, 8/2/1937.
[21] JWT, Staff Meeting Minutes, box 4, 27/10/1931, Activities of the Antwerp Office by M. Adrian Head, p. 6.
[22] JWT, Staff Meeting Minutes, Minutes of representative meetings, box 4/5, p. 4.
[23] [« En Belgique nous avons créé un quasi-monopole. J'aimerais reproduire ce processus en France. Cela signifie que, lorsque les annonceurs parlent d'agences, je veux qu'ils parlent d'abord de Thompson, et puis des autres. »]. JWT, Antwerp, General, 1936, Loyd R. Coleman à Donald C. Foote, New York, 26/12/1935.
[24] On retrouve ici un préjugé identique à celui qui concerne les agences américaines. Le Plan Marshall marquera en effet l'accélération de ce mouvement, mais il est antérieur à la Seconde Guerre mondiale.
[25] Il faudra attendre 1935, soit huit ans après l'ouverture de son bureau belge, pour que l'agence ouvre un service de publicité radiophonique, un média jugé peu rentable par l'agence, sous la pression des annonceurs. La publicité radiophonique est alors en pleine expansion, les annonceurs l'apprécient beaucoup pour la notoriété qu'elle confère à leurs marques pour un budget relativement modique. JWT, TOR, Antwerp, General, D.C. Foote à J.H. Cerny, Anvers, 4/1/1935.
[26] Armand Mattelart a bien mis en évidence l'importance de la publicité dans le processus de globalisation dans : L'Internationale publicitaire, Paris, La Découverte, 1989 ; La Publicité, Paris, La Découverte, 1990.
[27] Au niveau des notions d'adaptation et d'hybridation, voir : Robert Boyer, Esie Charron, Ulrich Jürgens, Steven Tolliday (dir.), Between Imitation and Innovation ; The Transfer and Hybridization of Productive Models in the International Automobile Industry, Oxford University Press, New-York, 1998. Pour une présentation exhaustive des éléments d'hybridation et d'importation dans le secteur publicitaire cf. Véronique Pouillard, La publicité en Belgique (1850-1975). Institutions, acteurs, entreprises, influences, thèse de doctorat d'Histoire, Université libre de Bruxelles, 2002, vol. 1, p. 181-185.
[28] Peter Schollers, « Consommation de classe, consommation de masse. L'auto en Belgique depuis 1900 », Les Cahiers de la Fonderie, Bruxelles, n° 14, juin 1993, p. 2-10.
[29] Fred Poster, « Pour ou contre la Publicité à l'américaine », Bulletin de la Chambre syndicale belge de la Publicité, 3 (4), juillet 1932, p. 16.
[30] Le tableau qui suit reprend non seulement les agences de publicité nationales et internationales présentes en Belgique, mais aussi les entreprises de vente d'espace et les régies de presse.
[31] Source du tableau : Annexes au Moniteur belge, Recueil des actes, extraits d'actes, procès-verbaux et documents relatifs aux sociétés commerciales. Publié en conformité des lois sur les sociétés commerciales, Imprimerie du Moniteur belge, Bruxelles, 1919-1940.
[32] Les statuts de la Chambre syndicale belge de la Publicité a.s.b.l. (CSBP), ont été publiés en 1926. Bulletin officiel de la Chambre syndicale belge de la Publicité, Bruxelles, 3 année, n° 9, décembre 1932.
[33] Après la Seconde Guerre mondiale, on évoquait encore la notion de « toute-puissance des grandes cultures » : Marion Coulon, L'autonomie culturelle en Belgique, Les publications de la Fondation Charles Plisnier, Bruxelles, 1961, p. 11.
[34] Pour des précisions sur la situation du secteur publicitaire en Belgique, cf. Véronique Pouillard, La publicité en Belgique…, op cit., vol. 1 et 2.