Comptes rendus
Marie Thonon, Maître de Conférences, Département Infocom. Université Paris 8
La Posture comparatiste
Comparer (Dictionnaire historique de la langue française. Direction Alain Rey ) est issu du latin comparare, apparier, d'où assimiler et confronter. Il signifie rapprocher des objets de nature différente pour en dégager un rapport d'égalité et examiner les rapports de ressemblance et de dissemblance entre des personnes et des choses. De ce sens, procèdent quelques emplois spéciaux en droit (1718), en sciences de la nature (Cuvier 1805 Anatomie comparée) et en littérature (comparée 1900). C'est ainsi qu'apparait le comparatisme et ce, de manière relativement récente dans l'histoire intellectuelle.Cette histoire elle-même serait à interroger, alors que, dans le contexte de la mondialisation, survient la nécessité de comparer l'histoire des pays, nations, souverainetés, états, systèmes, cultures à travers des objets spécifiques, ici, en l'occurence, les médias. Il s'agirait donc, pour le comparatiste, d'être l'entremetteur (au sens d'apparier, à savoir de faire rencontrer pour assortir et marier) impossible entre les territoires, les époques, les cultures, d'être en situation de comparer horizontalement, verticalement et transversalement soit dans une posture d'équilibre épistémologique acrobatique sans cesse au bord de la rupture.
Il nous semble que le monde actuel porte ce défi à l'analyse historique, si tant est qu'on s'accorde sur sa nécessité pour chercher le sens du présent. “Pour moi, historien des pratiques et des œuvres de l'âge moderne, entre 16è et 18è siècles, les catégories et méthodes pertinentes sont celles qui permettent de comprendre la double historicité des textes : l'historicité qui gouverne leurs conditions et lieux de production et leur relation avec l'objet qu'elles visent ; et l'historicité, plus fondamentale peut-être, qui leur vient des modalités propres de leur “matérialité†, qu'elles soient écrites, orales ou électroniques†. (Roger Chartier. Revue MEI N° 10 L'Harmattan 1999) “Au défi de l'interdisciplinarité se somme celui de l'interculturalité†(Armand Mattelart MEI N° 10)
Il faudrait ici ajouter, à propos des médias, celui de l'interhistoricité qui raccorde les textes ou autres objets observés au contexte global de leur inscription historique précisément.
Étre “entre†, “parmi†, “au milieu de†voici donc la difficile position du comparatiste de l'histoire des médias, objets et phénomènes par nature cristallisateurs d'échanges qu'une approche strictement disciplinaire ou strictement nationale ne pourrait que réduire.
Dans l'état actuel des recherches qui commencent à être nombreuses dans ce champ, nous voudrions proposer de relever quelques principes sur lesquels les comparatistes pourraient s'accorder et, quelques problématiques communes sur lesquelles ils pourraient s'appuyer. Il nous semble que pour l'ensemble, il faille faire confiance aux chercheurs dans leurs pratiques et leurs confrontations.
1- Nécessité des historiens, au sens disciplinaire du terme. Les chercheurs en sciences humaines, politiques ou en communication ont besoin des historiens, de leurs savoirs et de leurs méthodes pour l'histoire des techniques, l'histoire économique, l'histoire des professions, l'histoire des usages, des administrations, des entreprises etc..
2- Nécessité d'approfondir l'histoire des médias sur un plan national pour élaborer les modèles nationaux d'inscription et de développement des médias. “Le retour au “génie du lieu†(local national) s'avère nécessaire pour donner un sens à ce processus de “globalisation†que d'aucuns d'entre -nous présentent comme une fatalité, devrait favoriser la rencontre d'un couple impossible. Pour preuve, les recherches sur la spécificité “ethnique†des “genres†ou des “modèles†télévisuels sur un marché dit global“. (Mattelart MEI N° 10)
3- Nécessité de l'attention aux échanges, dispositifs, moyens et équipements de communication et de commerce des objets, des idées et des personnes au plan international. Retrouver et rassembler les savoirs en la matière qui sont abondants mais dispersés ou oubliés, permettrait de fabriquer un socle de fondation solide à l'histoire internationale croisant celle des grands continents de référence.
Les recherches généalogiques que nous avions menées sur les équipements de communication en France, procédant là à un croisement entre les divers équipements (postes, routes, chemins de fer, télégraphe, téléphone, phonographe, photographie, cinématographe etc..) sur une problématique commune nous avaient permis de retenir plusieurs axes de réflexion.
- L'étude de la configuration institutionnelle avait mis en évidence le rôle prépondérant joué par les Grands Corps Techniques et cerné leurs rapports avec les forces politiques nationales ou locales -spécificité franco-française si puissante et si peu perceptible- (Routes et chemin de fer).
- L'étude de la configuration spatiale des équipements avait permis d'expliciter certains choix de développement en matière d'infrastructures de communication (Télégraphe, téléphone).
- L'étude de la configuration socio-culturelle qui a servi de filtre à l'émergence de techniques à large diffusion s'est avérée utile pour appréhender certains thèmes moteurs de la diffusion. (Phonographe, photographie, cinéma).
- L'étude des divers objets et supports de la communication a permis de mettre en relief la progressive dématérialisation du corps à leur profit et ainsi, permis de poser les lourdes questions de leur humanisation et de la virtualisation des relations et des identités. Ceci est un exemple de recherche au plan national (la France) où le comparatisme s'effectuait entre les équipements eux-mêmes et les approches disciplinaires convoquées.La recherche a permis ainsi de rencontrer l'international à partir d'autres bases que celles, par exemple, du progrès et donc du retard technologique qui en est le pendant. Elle a permis encore de comprendre les effets des dispositifs et interventions strictement internationaux sur le territoire national, que ce soit sur le plan du politique, du droit, de l'économie ou de la communication en comparant plusieurs modèles nationaux européens.
A ce point, il nous importe de savoir comment l'hétérogénéité des territoires et des cultures a pu, depuis déjà un siècle, composer avec l'homogénéisation internationale des formes et des contenus. Encore une fois, l'entremetteur comparatiste peut jouer son rôle entre l'histoire internationale et l'histoire nationale.