02 - Publicité, quelle histoire ?
Agnès Chauveau et Isabelle Veyrat-Masson
L’histoire dans les spots publicitaires : un mariage antinomique
Le Temps des médias n°2, printemps 2004, p.127-136Le mariage de l’histoire et de la publicité est sans aucun doute celui de la carpe et du lapin. Pourtant, certaines publicités ont pris le risque d’ancrer leur message dans le passé. Pourquoi et comment les publicités utilisent-elles l’histoire ? Très éloignée de la rigueur académique, l’histoire telle qu’elle figure dans ces messages est surtout un réservoir de valeurs, d’intrigues et de références scolaires partagées, ironiquement détournées par la publicité.
Le mariage de la publicité et de l'histoire est sans aucun doute celui de la carpe et du lapin. La publicité s'inscrit dans le présent le plus immédiat. Elle est entièrement tournée vers l'avenir, projetée dans le futur, destinée quelle est à provoquer un geste ultérieur, un acte d'achat : elle est intéressée non pas par ce qui a eu lieu mais par ce qui va advenir. Son rythme est la répétition d'un message le plus court possible. Elle n'a aucune contrainte d'exactitude ou de rigueur – ses ultimes objectifs. Faire connaître et faire vendre la libèrent devant l'opinion de toute obligation de sérieux ou de vérité et même, parfois, de crédibilité. La publicité relève d'abord des lois du commerce qui ne connaissent que peu de règles et de limites dans leur désir de persuader et de plaire.
L'histoire, tout au contraire, vit du passé et dans le passé ; comme discipline, elle se méfie du présent et des distorsions qu'il opère sur les regards rétroactifs. Le futur n'intéresse guère les historiens. Ils se sont installés dans cette longue durée qui leur a permis de se dégager de l'anecdote pour atteindre l'essentiel. Le regard de l'historien se porte de plus en plus loin en arrière et, lorsqu'il évoque des thèmes déjà traités par ses prédécesseurs, il craint plus que tout la répétition. Enfin, ce qui, évidemment, éloigne par essence l'histoire de la publicité, c'est son obsession de la vérité et son ardente obligation de fournir des preuves et surtout son désintéressement à l'égard de l'économie de marché.
Bien sûr, on peut se plaire à trouver des points communs – mais ils sont rares – entre l'histoire et la publicité. Les deux sont des récits. Dans certains cas, l'histoire, elle aussi, a été instrumentalisée pour faire croire à un concept, à une idéologie, ou à un chef. La publicité a également eu recours au discours de la preuve pour convaincre de la qualité de ses produits, tandis que l'histoire peut devenir un objet de consommation et de profits lorsqu'elle rencontre un large public de lecteurs ou de téléspectateurs. Enfin, reconnaissons que les questions que la publicité pose au passé sont d'abord celles du présent. Il convient également d'ajouter que la publicité qui tend à modifier les habitudes d'achat s'adresse au public le moins ancré dans des contraintes anciennes, les jeunes ; ces jeunes pour qui l'histoire est souvent un passe-temps de personnes âgées.
Le choix de faire référence au passé n'est donc pas anodin pour un publicitaire et il n'est pas étonnant que la rencontre entre la publicité et l'histoire soit relativement rare. Le publicitaire prend, en effet, le risque de trouver des difficultés particulières attenantes à cette rencontre contre nature. La carpe et le lapin font rarement de jolis petits…
En étudiant une cinquantaine de spots publicitaires faisant référence au passé [1], nous avons cherché à comprendre ce qui justifiait cet ancrage. Pourquoi et comment les publicités utilisent-elles l'histoire ? L'histoire, telle qu'elle figure dans l'ensemble des publicités, est bien loin d'être le reflet exact de celle enseignée dans nos plus illustres manuels. Très éloignée de la rigueur académique, la publicité a comme objectif premier de toucher le plus grand nombre. Aussi privilégie-t-elle ce que les publicitaires considèrent comme les événements les plus fédérateurs de notre mémoire collective ; car, pour être efficace, le message doit, en quelques secondes, être compris de tous. Les références sont le plus souvent allusives. L'histoire est davantage utilisée comme un décor sur lequel se greffe l'intrigue publicitaire.
L'histoire permet le retour aux origines ; elle est aussi le temps de l'extrême et des exploits mythiques ; enfin, elle cherche à évoquer les grands événements et des grands hommes. Ainsi, la publicité puise dans ces récits « historiques », largement partagés par la mémoire collective, pour installer ses marques dans des situations les plus souvent cocasses, jouant des connaissances communes et du caractère antinomique de la publicité et de l'histoire, de cette rencontre improbable entre un monde disparu et la modernité intrinsèque de son objet.
L'authenticité des origines
Le passé est souvent une garantie d'authenticité. « Il était une fois » correspond au temps de la nostalgie, d'un âge d'or dans lequel les ravages du progrès n'avaient pas encore marqué notre époque imparfaite où cohabitent à la fois une crainte de la science et de la modernité, un rejet des manipulations de toutes sortes (chimiques ou biologiques) et aussi le regret d'une époque où les hommes avaient encore une vraie connaissance des plaisirs simples de la vie : la nourriture, la boisson dont on faisait bombance, la joie et l'insouciance du banquet. Les marques alimentaires aiment à ancrer leurs produits dans ce temps indéterminé, celui de la tradition. Ainsi, La laitière, fabricant de produits laitiers, décline ce thème d'une époque dans laquelle les ingrédients qui composent ses productions, le lait, la crème avaient leur goût d'origine. La peinture, celle de l'école hollandaise renforce la sérénité d'un temps que l'on voudrait près de la nature, de la vérité et de la simplicité des produits d'origine, ceux qui servent à fabriquer des yaourts et des crèmes. Il n'est pas dit dans ces messages que les yaourts ou les crèmes soient aussi anciens, mais la publicité fonctionne par association d'idées, par capillarité mentale.
On retrouve de manière plus décalée cette idée d'authenticité dans une publicité pour Terra, un nettoyant pour les sols en terre cuite. Sur un mode comique, un esclave apparaît au milieu d'un banquet romain, pour rappeler une question « essentielle » : il doit nettoyer les sols. Ici, la publicité fait référence à l'origine même du produit, en Italie, dans l'Antiquité. La question du ménage se posait alors de manière brûlante, les Romains étant particulièrement sales : ils mangeaient couchés, laissaient forcément tomber de nombreux résidus lors de ces banquets censés durer des jours et des jours et se terminer par des orgies !… Terra, dans ces circonstances, avait l'obligation d'être efficace, tout en respectant la qualité de sols qui sont parvenus jusqu'à nous. Le slogan final prononcé par un esclave : « Ils s'amusent. Moi, pendant ce temps, je prends soin des sols », résume la situation. Cette situation permet également d'échapper à cet écueil que connaissent toutes les publicités de produit nettoyant : comment éviter de mettre en scène une femme faisant le ménage – ce qui n'est pas « politiquement correct » – même si cela correspond à la réalité. Bien commodes, en effet, ces temps lointains et romains où des esclaves mâles lavaient les intérieurs…
Perrier positionne également son produit – non sans humour également – dans des origines mythiques. On y apprend que les hommes préhistoriques ne recherchaient pas que le feu : ils avaient aussi besoin… d'eau. Cette eau est présentée dans un spot assez « sérieux », c'est-à -dire démarqué sur les reconstitutions les plus ambitieuses, comme La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud. Mais, à l'issue de ce combat pour la vie, les hommes préhistoriques découvrent mieux que l'eau, ils trouvent… Perrier, une eau gazeuse, naturelle. La comédie succède alors au « drame ». Dans ce spot, la référence au passé a permis au produit de parler d'authenticité, de naturel et d'accéder à une légitimité, qui va au-delà des modes et des goûts.
On retrouve l'utilisation du passé comme assurance d'authenticité, donc de qualité et de saveurs originelles, dans les publicités pour d'autres produits alimentaires de tradition française. « Le foie gras Montfort c'est mon faible » reconnaît un chevalier du Moyen à ‚ge. Dans une autre publicité, des Gaulois forcément braillards et rustiques se réjouissent bruyamment d'entamer le bleu Marbleu. En ces temps de grande convivialité et de plaisirs simples, les fromages mûrissaient dans de vraies caves, grâce à des techniques simples mais efficaces. Ces brutes joyeuses ne connaissaient pas encore – on peut en être sûr – ni colorants, ni conservateurs, ils ne cherchaient qu'un franc plaisir que notre époque moderne a oublié.
Les Vikings hurlant « Skansen ! Skansen » lorsque le tavernier « franchouillard », joué par Gérard Jugnot leur sert de la bière française, authentifient également la qualité de cette boisson, que l'on associe plus immédiatement aux pays du Nord qu'à la France. La force et la vitalité débordent de ces barbares immenses et joyeux. Skansen est bien, depuis (presque) toujours, dès lors, « une bière française qui a bien mérité son nom » comme nous l'explique une voix off.
L'association d'un produit à des temps obscurs permet donc d'ancrer la marque dans un univers temporel antérieur à toute idée de progrès et à son cortège de peurs attenantes : manipulations génétiques, frayeurs alimentaires, disparition du goût. Il en est ainsi sous l'Empire Romain. L'anachronisme « rigolard » triomphe : obtenir du vrai blanc peut sembler a priori une question triviale, mais, lorsque l'on est sénateur romain et que l'on porte quotidiennement la toge pour discuter des affaires du monde, est-ce que cela ne devient pas une affaire d'État ? C'est ce que postule Radiola pour vendre ses machines à laver. Dans cette publicité, apparaît un autre avantage de l'Histoire pour les publicitaires. Celle-ci a eu un certain talent pour créer ou susciter ce que l'on n'appelait pas encore des slogans : « tu quoque, mi fili », « errare humanum est » en sont des exemples. Dans ce même spot où un personnage admire le « travail de Romain » réalisé par la machine à laver, un autre stoppe un de ses camarades par un retentissant « Arrête ton char Ben Hur » ! Quelques références partagées et détournées de leur sens originel rallient le téléspectateur moyen à ces Romains et aux produits qu'ils proposent. On l'aura compris, ce spot pour Radiola nous propose une version plus proche de l'imaginaire d'Uderzo et de Goscinny que de celle livrée par les recherches érudites des antiquisants.
Autre exemple d'utilisation des mythes fondateurs détournés : la Classe A de Mercedes est accueillie comme une déesse lorsqu'elle apparaît devant les murs de Troie. Et la nuit, une fois entrée dans les murs de la Cité, des dizaines de Grecs en armes sortent de la petite voiture… De même, les Anglais n'hésitent pas non plus à se servir d'un de leurs grands mythes. Pour avoir bu trop de bière Carling, des hommes en armures, perdus dans des brumes probablement nordiques, ont des visions et l'un d'eux, particulièrement maladroit enfonce son épée dans une pierre. Quel benêt, cet Arthur ! Une représentation bien éloignée de la complexité médiévale si chère à Jacques Le Goff…
Le temps de l'extrême et de l'exploit
L'histoire représente aussi le temps de l'extrême. Changements extrêmes : révolutions, découvertes et inventions mais aussi violence, grande brutalité, pouvoir absolu. La publicité utilise alors l'histoire pour contrecarrer ses codes habituels d'hédonisme et de joie de vivre. Confrontés aux horreurs de l'histoire, le charme et les qualités du produit ne peuvent qu'en ressortir grandis.
Quel merveilleux produit est-il capable de contrebalancer la force brute et imbécile des barbares du Moyen à ‚ge ? Le cornichon Maille, bien sûr. Son pouvoir de conviction ne peut qu'être magnifié par la puissance et la brutalité de ceux que son charme réussit à séduire : dans le spot Maille, une jeune femme ne réussit à résister aux assauts teintés d'allusions érotiques de barbares venus du passé qu'en leur offrant des cornichons : « la finesse du goût et la subtilité ouvrent les portes du plaisir », nous explique-t-on. Le plaisir est hors images, mais tout nous laisse imaginer que la force de ces brutes, alliée au raffinement de la jeune-femme-aux-cornichons-Maille, ne peut que faire merveille.
Étrange spot que cette publicité américaine dans laquelle un jeune homme ravi reçoit en cadeau un jean Diesel. Mais le plaisir et la satisfaction presque magiques qu'il ressent en essayant ce pantalon, sont d'autant plus forts qu'il le fait au cœur de l'enfer, c'est-à -dire au milieu d'une tranchée de la guerre de 1914-1918. Les bombes éclatent, les hommes meurent autour de lui, mais il ne voit rien, tout au bonheur de porter un jean Diesel. Diesel “for successfull living !†. Ici, avec l'Histoire, Diesel touche aux limites du tabou, comme Benetton l'a fait avec les drames du temps présent.
Rome, ses jeux du cirque et ses complots sanglants marquent eux aussi le degré ultime d'un certain niveau de violence. Est-il possible aujourd'hui de tuer son père parce qu'il vous a pris votre boisson préférée ? Brutus l'a fait. Refuser d'écouter chanter un homme d'État ne mène plus à la mort, mais lorsque Néron était empereur, comme la banque du même nom, ce fut le cas…
Le temps des grandes découvertes est un thème privilégié par les publicitaires. Une marque qui veut prouver la nouveauté de son produit peut chercher à l'associer à des inventeurs de renom. Certes, Gutenberg a inventé l'imprimerie, mais, devant la photocopieuse d'Apple il ne peut que pâlir d'envie et tenter de brancher son imprimerie rudimentaire – et du coup vaguement ridicule – sur une impossible prise électrique. La vraie invention, on l'aura compris grâce à ce spot, n'est pas celle que l'on dit dans les écoles !
Autre grande découverte sur laquelle s'appuient les publicitaires, celle de l'Amérique. Christophe Colomb, magnifique, au cœur d'une tempête ne bouge pas, ne cille pas ; il est imperturbable au milieu des vents et des eaux déchaînés. L'image est grandiose. On la croirait tirée d'un film hollywoodien, alors que Wagner accompagne l'exploit, comme il l'a déjà fait au Vietnam. Mais la vraie raison de l'héroà ¯sme du Génois, nous la découvrons enfin : Colomb porte des Timberland, ces chaussures qui ne glissent pas dans les pires conditions. Le slogan qui accompagne ce spot publicitaire retourne de manière amusante l'interprétation spontanée : « Timberland, les chaussures qui ont été découvertes par l'Amérique ».
Il faut donc de véritables exploits pour montrer, par « contagion » positive, l'importance du produit et de la marque qui lui sont associés. 33 heures et 30 minutes sans dormir, dans un misérable monoplan, ont été nécessaires à Charles Lindbergh pour traverser l'Atlantique. Cet exploit lui a valu une gloire inouà ¯e, éternelle. Danone, nous « révèle » sa véritable motivation : Lindbergh, constatant qu'il n'y a pas de « Folies » de Danone, son dessert préféré, dans le buffet qui l'attend, décide de repartir immédiatement d'où il vient. La marque joue également avec le nom du dessert « folies » qu'elle associe aux exploits de ces temps héroà ¯ques où les actualités en noir et blanc mettaient l'accent sur le caractère « pas raisonnable » de ces pionniers.
Des grands hommes et de grands événements
La Révolution française, ses cocardes, sa guillotine, ses sans-culottes sont reconnus immédiatement par tous. Et, comme tout grand événement historique, il porte en lui une série de sous-récits, de personnages et de valeurs dont la pub peut s'emparer avec profit. Le publicitaire veut frapper fort. Il dispose de peu de temps et de peu d'images pour ce faire. Or, l'Histoire, comme la mythologie, est une source riche de ces récits universellement partagés qu'il suffit d'évoquer pour faire resurgir un ensemble de références et de significations.
L'image de la Révolution française est multiforme, comme l'événement lui-même, pour les Français. Il évoque la guillotine, avec son cortège de suppliciés et ses mares de sang et, dans le même temps, constitue la matrice de notre identité et le début de la modernité. Avec la grande Révolution, se termine l'obscurantisme des temps anciens et, avec elle, s'ouvre la porte de tous les rêves et de tous les espoirs. Ses excès et les déviations d'autres révolutions ultérieures n'ont pas retiré à ce mot ce qu'il contient de positif et d'utopiste depuis 1789.
Pour les publicitaires, le terme « révolutionnaire » demeure une hyperbole de l'idée de nouveauté. Toutefois, les messages autour de la Révolution sont souvent ambigus, parce qu'ils jouent avec prudence de la polysémie du mot et de l'événement. Ainsi de la publicité pour le ticket de métro « Ticket-chic, ticket-choc ». Robespierre et d'autres membres du Comité de salut public écoutent un orchestre de chambre entonner une musique étrange qualifiée de « révolutionnaire ». On reconnaît, malgré le clavecin, l'air popularisé par la répétition du message de la RATP « t'as le ticket-chic, t'as le ticket choc ». Robespierre semble mécontent, et Saint-Just passe une main tranchante et menaçante devant son cou. Le chef d'orchestre, terrorisé, joue alors la Marseillaise ; ce qui réjouit le public. « Heureusement les bonnes idées finissent toujours par triompher », nous explique alors la publicité, embrassant avec ce message, à la fois la démocratie, la RATP et la Marseillaise dans un jeu complexe de correspondances.
Il n'en est pas moins surprenant de retrouver la marque La laitière, très liée, on l'a dit, à ce qui touche la tradition, au milieu d'événements révolutionnaires. En fait, dans ce spot, la Révolution est envisagée, non pas comme le symbole du changement et de la modernité, mais comme un courant impétueux que rien ni personne ne peut détourner de son cours ; rien… si ce n'est la crème au caramel La Laitière. La Bastille attendra que le peuple ait goûté de ce dessert pour être prise. Force de l'événement historique, plaisir de dévier une intrigue dont chacun connaît la fin expliquent ici le recours à l'histoire. Le camembert Président situe également son « historiette » le 13 juillet 1789, dans cet entre-deux mondes où tout va basculer. Lorsqu'on annonce à Louis XVI l'arrivée d'un Président « révolutionnaire », il s'exclame (avec nous) « Déjà ! ». Mais il se rassure lorsqu'on lui présente le camembert Président : « le roi des camemberts ». Le message publicitaire se situe donc à l'intérieur de deux connivences : celle que nous avons avec la royauté, gage de la puissance sereine, de la tradition et du bon goût, et l'autre qui appartient à tout ce que le mot révolution contient de positif, gage de changements et de nouveautés. La marque de camembert se sert de l'histoire pour faire le grand écart absolu : lier les avantages de la tradition à ceux de la révolution.
Les grands hommes, leurs talents, leurs habitudes et leurs travers – lorsqu'ils sont suffisamment célèbres – inspirent les publicitaires, leur permettant de faire des rapprochements plus ou moins hasardeux entre les caractéristiques de leurs produits et ce qui, dans l'esprit collectif, est lié au personnage en question. Leur avec ses décors et ses costumes – à travers Louis XIV, auquel sont associés le pouvoir absolu et la chaleur rayonnante du soleil. Ce sera donc une réclame pour l'EDF. Dans ce spot, le roi Soleil est mécontent de tout ce que lui propose Colbert pour l'aménagement de sa nouvelle construction – qui semble pourtant de bon « standing » – : trop froid, trop cher, trop encombrant… Il demande alors l'impossible en 1672, mais c'est la seule chose qui corresponde à son niveau d'exigence : Promotelec. Absolutisme de la demande, chaleur du soleil, raffinement du maître d'œuvre, énorme perruque, forment un assemblage puissant immédiatement parlant à un public Français.
Napoléon, sans doute le seul grand homme de l'Histoire à être universellement connu, a le mérite assez rare de réunir sur sa personne des traits ridicules et d'autres forçant l'admiration. Même s'il est représenté par le message – ici publicitaire – sous des traits caricaturaux, il demeure autour de lui un halo de force, de violence et de puissance sexuelle dont peut profiter une marque. Que retient donc la publicité de l'épopée napoléonienne ? La fameuse habitude de l'Empereur de mettre la main dans son gilet qui trouve dans ce monde de la réclame des explications surprenantes. Ainsi, pour Fruit of the loom, marque de sous-vêtements masculins, il était martyrisé par son slip ; mais, une fois qu'il en a changé, il a pu repartir pour toutes sortes de conquêtes… L'association de petits problèmes à un grand caractère est ici rendue possible par la référence à l'Histoire. Les guerres napoléoniennes sont un autre élément de la légende. Un soldat, dans son bivouac à peine éclairé par la lune, à la veille d'une grande bataille qui sera – forcément – meurtrière, croque dans sa tablette de Crunch, ce qui déclenche une terrible tempête. Il croise alors Napoléon, la main dans son gilet, et ces deux hommes capables de bouleverser l'ordre des choses ne peuvent qu'échanger des regards de connivence. Minuscules événements, grande Histoire…
D'autres grands hommes, immédiatement identifiables par un large public, appartiennent au panthéon des publicitaires. Il paraissait logique, dès lors, que Jésus y figurât. Ainsi, cette publicité pour les buggies d'Éram qui permettent à Jésus et à ses compagnons, « relookés » pour l'occasion sous l'aspect de ces beaux jeunes gens, sorte de hippies généreux qui, peuvent aisément marcher sur l'eau. De même, Jésus parvient-il, avec ses apôtres, à fabriquer son pain à l'aide de Bonne fournée-le-pain-à -faire-soi-même ? « Miraculeux non ? », s'émerveille la réclame.
Les femmes célèbres sont moins présentes. Néanmoins la figure de Cléopâtre s'impose. À notre époque au rationalisme rigoureux et austère, la place que certaines périodes accordaient au mystère, à la magie, à l'irrationnel en définitive, constitue un des charmes du passé. Le mystère est source de rêves et d'évasion, deux composantes essentielles de la publicité, en particulier dans le domaine des cosmétiques et de la beauté. L'origine du succès de l'Égypte pharaonique réside en grande partie dans l'attrait de cette civilisation pour la magie et dans les aspects longtemps restés incompris de sa culture. La marque de savon Cléopatra fait son miel en quelques minutes de tous les clichés sur l'Égypte ancienne. Dans un décor magnifique apparaît Cléopâtre somptueuse entourée d'esclaves. C'est « la femme éternelle, détentrice de tous les secrets » et, en particulier, « d'un secret de beauté »… le savon Cléopatra.
Quoi de plus attendu que de retrouver les deux grandes figures du marxisme, Marx et Engels, dans cette publicité allemande. Alors que les deux grands hommes écrivent le Kapital, on nous montre que l'idée du partage des ressources leur est venue d'une envie de se partager des bonbons. Dans cette pub, la fin de l'Histoire est déjà annoncée, puisque, malgré ces grandes théories dont on vient de voir la naissance, l'un d'eux essaye de voler quelques bonbons de plus à l'autre !!!
Enfin, la publicité a recours, avec plus de prudence – elle se doit par nature d'être consensuelle, ce qui n'est pas facile en la matière – à l'histoire du temps présent. Le rappel que fait Citroà « n des performances de la DS au moment de l'attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle en juin 1962 est de l'ordre de l'opportunisme : « Ce que cette marque a pu faire pour un général, elle peut le faire pour tout le monde », rappelle-t-elle.
Plus intéressant, et tout à fait exceptionnel, est le fait qu'un grand acteur de la vie politique internationale joue dans une publicité. Ainsi Gorbatchev entrant dans une Pizza Hut en Russie provoque un débat sur les mérites de la Perestroà ¯ka entre les membres d'une famille attablée. Le bonheur de manger une pizza Hut, leurs discussions et la bonhomie de l'ancien chef d'État mènent vers une conclusion évidente à laquelle toute la famille se rallie : Gorbatchev a bien fait ! N'y a-t-il pas là dans cette publicité, ce que les économistes appellent un effet d'aubaine ? Pouvoir disposer d'un tel acteur ! L'histoire se construit autour de lui… Cela correspond bien-sûr à une évolution historique dont se sert la marque américaine : la fin de la guerre froide, l'accession de l'URSS à la démocratie et à la pizza Hut ici mises ici sur le même plan. En associant à une marque un homme ou un événement important et prestigieux, une parcelle de leur gloire rejaillit sur elle et lui confère une qualité qu'elle est très loin de posséder intrinsèquement.
Au total, l'histoire que l'on retrouve dans les publicités est plus proche de celle des films grand public, tels Les Visiteurs, ou encore des bandes dessinées que de celle enseignée dans les écoles et dans les universités. Car tous, producteurs, dessinateurs et publicitaires poursuivent le même objectif : rassembler un vaste public autour de références partagées le plus largement possible, faire réagir, par la rupture, par le rire ou par l'émotion. Aussi ne retiennent-ils de l'histoire que ses épisodes les plus caricaturaux qui s'apparentent le plus souvent d'avantage à la mémoire qu'à l'histoire. Sans souci d'une quelconque vérité historique, ils puisent dans cette source une inspiration qui, en définitive, renvoie essentiellement à des stéréotypes et à des légendes.
[1] Ces cinquante messages publicitaires ont été sélectionnés par Vladimir Donn, rédacteur en chef de Culture Pub, dans le cadre d'une émission réalisée pour la chaîne Histoire. Nous le remercions pour nous avoir transmis les publicités qu'il avait sélectionnées.