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09 - La fabrique des sports

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Laurent Martin

Exposition

Le Temps des médias n°9, automne 2007, p.224-225

« Que dit le volatile ? Les présidents de la Ve, Moisan et l'histoire de France »

Archives nationales, musée de l'histoire de France.

Hôtel de Soubise, 60 rue des Francs-Bourgeois 75003 Paris, exposition du 15 septembre 2007 au 7 janvier 2008.

L'idée était astucieuse : mettre en regard les dessins de Moisan, le grand caricaturiste du Canard enchaîné, sur la Ve République en général et sur le général de Gaulle en particulier, et des documents d'archives sur des événements, des lieux, des personnages auxquels ces dessins font référence. Disons-le d'emblée : si elle fonctionne quelquefois, cette idée souffre le plus souvent du contraste entre, d'une part, des dessins très expressifs, de grande taille, parfois colorés, qui attirent l'œil et le font se perdre, fasciné, dans la profusion des détails, et des documents écrits, parfois illisibles, certes précieux mais dans l'ensemble peu spectaculaires. Dans cette confrontation, le dessin de Moisan s'impose irrésistiblement, superbe et généreux, et l'on pourrait lui appliquer ce que Baudelaire écrivait à propos des « bouffonneries historiques » de La Caricature de Philippon : un « tohu-bohu, un capharnaüm, une prodigieuse comédie satanique, tantôt bouffonne, tantôt sanglante, où défilent, affublées de costumes variés et grotesques, toutes les honorabilités politiques. »

Moisan naquit en 1907 à Reims. Baptisé au champagne par un oncle évêque, il en conçut, dit-il, une hostilité pour le clergé et le vin pétillant. Son sens de l'observation satirique, de la charge dessinée, il l'acquit au contact de la population d'un village des environs de Bourges où il passa une partie de son enfance. Il crut d'abord qu'il serait peintre mais sa route croisa celle d'Eugène Merle, le fondateur de Paris-Soir et du Merle blanc qui, au début des années 1920, taillait des croupières au Canard enchaîné de Maurice Maréchal. Il fit au Merle ses débuts de dessinateur de presse, avec un trait assez différent de celui qui fera sa réputation au Canard. Ce n'est d'ailleurs pas le moindre intérêt de cette exposition que de nous montrer des dessins, des objets, des coupures de presse du Moisan d'avant le Canard – c'est-à -dire, quand même, des cinquante premières années de sa vie !

C'est en 1956, en effet, que Moisan entra au journal de la rue des Petits-Pères à l'invitation de Tréno, alors rédacteur en chef, qui lui avait fait comprendre que, peut-être, « il ne serait pas complètement inutile au Canard ». L'hebdomadaire satirique commençait alors à remonter la pente qu'il avait dégringolée depuis la Libération. Mais c'est évidemment avec de Gaulle et la Ve République que le journal et le dessinateur donnèrent leur pleine mesure. Le général offrait à l'imagination du dessinateur d'innombrables prises, physiques, symboliques, historiques, qui allaient le conduire vers les sommets de la caricature politique. Les associations d'idées, les réminiscences historiques sont innombrables : de Gaulle en Jeanne d'Arc, en Louis XI, en Louis XIV (surtout dans « La Cour » avec le compère Roger Fressoz, alias André Ribaud), en Napoléon I et III, en Louis-Philippe… en de Gaulle même ! Et, autour de lui, s'agitant, pérorant, s'inclinant, la foule des courtisans, petits et grands, entraînés dans une sarabande étourdissante. On rapporte que de Gaulle aimait savoir ce que le Canard disait de lui – le titre de l'exposition est l'un de ses mots – et appréciait les caricatures de Moisan. Dans l'extrait du film de Bernard Baissat qui est projeté dans l'exposition, on voit et on entend Moisan imiter de Gaulle d'une façon saisissante pour citer les augustes paroles : « Je suis un général. C'est vrai que je suis un général. Mais, dans ces caricatures, je chie, je pète, je bouffe, je baise, je montre mon cul. Je suis un homme. »

Ses successeurs n'auront pas la même truculence et inspireront moins les mauvais esprits du Canard. Même si « La Cour » devient « La Régence » et que Moisan continue de livrer chaque semaine ses dessins éditoriaux qui s'affichent en pleine page sur la dernière du journal, nous quittons les sublimes hauteurs pour le prosaà¯sme de la plaine. « Les gens d'aujourd'hui n'existent pas, affirme alors Moisan, ils sont trop pâles pour faire un bon dessin. Ils n'existeront pas. » Jugement un peu sévère tout de même, et sur lui et sur le personnel politique des années 1970 et 1980, qui donnèrent lieu à quelques savoureuses réalisations. Mais il est de fait qu'une belle époque du dessin s'était achevée avec le départ du général. L'exposition de l'hôtel de Soubise permet aux anciens de la revivre avec nostalgie, aux plus jeunes de la découvrir dans un cadre qui, à lui seul, vaut la visite. Signalons pour finir le petit livret de l'exposition, très bien fait. Tous les originaux des dessins de Moisan ont été prêtés par son fils, Paul-Henri Moisan, commissaire scientifique de l'exposition avec Monique Hermitte et Gabriel Harlay. L'exposition tient dans deux pièces, on peut en faire le tour en moins de temps qu'il n'en faut à la grande aiguille pour faire celui du cadran.

Citer cet article : http://histoiredesmedias.com/Exposition.html

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