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Comptes rendus

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Juan Carlos Miguel de Bustos, Universidad del Pais Vasco Fac. CC. Sociales y de la Comunicacià³n

Économie des comparaisons

La perspective dans laquelle je m'inscris est celle d'un disciple de l'histoire contemporaine des médias et mes réflexions s'appuient sur l'économie des industries culturelles et/ou de la communication. Mes fonctions de professeur et de chercheur reposent sur la notion de comparaison. Il ne peut en être autrement car la comparaison – avec la classification, la catégorisation, la hiérarchisation ainsi que l'élaboration de concepts – constitue l'une des méthodes fondamentales de la démarche scientifique au sein des industries culturelles.

Dans le cadre de l'enseignement, je m'intéresse à l'économie de la communication et à la structure du système audiovisuel international ; ce qui m'oblige à analyser différents systèmes audiovisuels nationaux, et pas seulement européens. Dans le cadre de la recherche, j'étudie les groupes de communication européens et nord-américains. De plus, j'examine leur évolution tout en établissant une classification qui prend en compte des axes – diversification, internationalisation – afin de mieux comprendre leurs activités. Dans ce champ d'étude (les groupes de communication), je ne pense pas pouvoir trouver plus de difficultés que mes collègues, ici présents. En ce qui me concerne, il s'agit évidemment de la diversité linguistique et des différentes définitions et méthodes comptables. Ceci dit, le principal obstacle provient de la fragmentation des sources et du type de gestion inhérent à chaque groupe. Autre difficulté majeure qui doit être surmontée : la grande disparité dans la définition des groupes de communication et d'information. Certains classements (en anglais, rankings) considèrent uniquement les groupes médiatiques – presse, radio, télévision – tandis que d'autres incluent aussi les portails d'Internet – Yahoo, MSN, Terra – alors que plusieurs classements ignorent les télévisions publiques. C'est pour cela qu'il faut très souvent, malgré d'abondantes informations sur ces groupes de communication, se servir des documents et rapports annuels des groupes et faire appel aux informations de la presse spécialisée comme unique moyen d'établir des comparaisons intergroupes.

Très récemment, en voulant établir une comparaison entre les groupes nord-américains et européens, au cours des 30 dernières années, j'ai été obligé de mener ma propre collecte de données sur leurs diverses opérations : acquisitions, fusions, intégrations. En effet, toutes les recherches existantes proposaient des résultats parfois contradictoires, conséquence de la multiplication des sources consultées.

On peut donc affirmer que bon nombre d'analyses sont les produits des sources employées. De manière générale, quand on examine la convergence entre l'audiovisuel et les télécommunications, on s'aperçoit que les travaux menés par les économistes dans le domaine des télécommunications accordent davantage de valeur à ces dernières par rapport à l'audiovisuel. Le contraire est également vrai.

Il y a deux ans, j'ai publié un ouvrage sur ce que je nomme l'écologie culturelle pour lequel je me suis inspiré des travaux de certains économistes hétérodoxes tels que le canadien Robert E. Babe. Cet ouvrage illustrait une démarche méthodologique visant à établir des liens entre les diverses sphères de l'activité humaine : communication, économie, société, politique et environnement. Et tout problème dans une sphère donnée finit par se diffuser dans les autres sphères. De telle manière que lorsqu'on pense au trou découvert dans la couche d'ozone, c'est-à -dire l'environnement, on doit – pour poursuivre la métaphore – découvrir un trou équivalent dans le domaine social, économique, etc. Par l'usage d'une telle image, je veux souligner l'interrelation profonde qui existe entre l'ensemble des milieux, et chacun d'eux, qui constituent la pratique sociale. On peut ainsi analyser et établir les causes du trou dans l'ozone des médias : instantanéité des nouvelles, discontinuité, mimétisme (mêmes nouvelles dans différents journaux), simultanéité de l'événement (diffusion en direct – CNN, par exemple), prévisibilité de la nouvelle, « catastrophisme ».

On peut aussi faire l'inventaire des trous d'ozone propres à l'approche comparative. Selon moi, c'est, entre autres choses, l'importance accrue de la recherche dite administrative (commandée par des organismes tels que l'OCDE et l'Union européenne ainsi que les gouvernements) par rapport à la recherche pure. Il y a également un autre problème : l'usage abusif de données reliées à des indicateurs économiques et technologiques.

Principes fondamentaux. Diversité et coexistence

J'avais pensé, dans un premier temps, intitulé mon exposé : Écologie des comparaisons. Car je considère comme fondamentales les interrelations entre toutes les sphères d'activités humaines – incluant la recherche – et comme une véritable source d'inspiration l'écologie vue notamment en termes d'organisme et d'évolution. Parlant d'écologie, et avant d'aborder la question du comparatisme en sciences sociales, en histoire, en économie, et plus particulièrement, en matière de médias, d'industries culturelles ou même d'INTERNET, il m'apparaît nécessaire de souligner deux principes fondamentaux dont nous devons tenir compte. Ces deux principes sont la DIVERSITÉ et la COEXISTENCE.
Diversité d'abord, car à l'intérieur même d'activités ayant une longue histoire, comme la presse, on peut retrouver différents pourcentages de publicité dans le financement des entreprises de presse (41 % en France et 87 % aux USA). Cette diversité touche également des activités plus récentes telles l'essor de l'INTERNET et le développement du commerce électronique. Si l'on examine les diverses situations nationales, on y trouve des programmations différentes, des usages distincts et maintes façons de répartir les dépenses publicitaires entre les médias. Ce que je veux souligner ici, c'est que cette diversité n'est pas conjoncturelle, mais bien structurelle et propre aux industries de la culture. Avant toute comparaison, il est important de reconnaître et d'interpréter cette diversité.
Coexistence ensuite, comme principe fondamental s'opposant à la rupture ou substitution.
Quand surgit une nouvelle activité, nous avons tendance à croire que l'usage récent s'impose en éliminant l'usage ancien. Toutefois, du moins pendant une assez longue période, les activités – et les usages qui en découlent – anciennes et nouvelles coexistent et entretiennent même des relations symbiotiques. De cette manière, la radio a utilisé et incorporé des activités préexistantes comme la musique et le théâtre ; la télévision, quant à elle, utilise et incorpore la fiction et l'INTERNET va encore plus loin en intégrant de nombreuses facettes culturelles (livre, presse, fiction, musique, etc.)

Évaluation comparative –Benchmark- et prospective. L'histoire a contrario.

Je voudrais attirer l'attention sur deux aspects qui caractérisent notre système écolo-comparatiste. Il s'agit de la généralisation du concept d'évaluation comparative (en anglais, benchmark). Ce concept, basé sur la comparaison, peut être traduit comme une forme d'évaluation permettant la prise de décisions dans un but d'amélioration. Jadis utilisé par les entreprises dans le seul domaine du marketing, le terme est aujourd'hui employé un peu partout. Ainsi, The European Institute for the Media, publie ce mois-ci une étude comparative sur la réglementation dans 7 pays et qui a été titrée Studio Benchmark. De plus, le récent programme de l'Union européenne, e-Europe, aborde la question du benchmarking. Nous attendons de ce concept d'évaluation comparative visant l'amélioration qu'il s'applique non seulement à la sphère économique, mais également à la sphère sociale, et plus particulièrement à la sphère médiatique.
L'autre aspect dont il faut discuter est celui la prospective. Au fur et à mesure que nos sociétés deviennent plus complexes, nous avons davantage besoin d'élaborer des prévisions sur l'avenir. Nous sommes conscients qu'il est vraiment impossible de décrire le futur, notamment sur les plans économique et social ; cependant, nous demeurons convaincus qu'il vaut mieux se livrer à des prévisions, parfois fausses, que de ne pas en faire. Jusqu'à tout récemment, la prospective était l'œuvre seule des spécialistes, ou consultants ; aujourd'hui, elle est devenue une véritable obsession pour les pouvoirs publics qui trouvent dans l'amoncellement de chiffres la justification de leurs actions et de la répartition des budgets. Il en découle à coup sûr un grave problème : si les pouvoirs publics, et même les entreprises, répartissent les budgets en fonction de prévisions, il devient alors facile de perdre de vue le véritable objectif qui doit être, pour tout programme étatique, l'amélioration de l'ensemble des activités, et non seulement de l'économie.
Tout en critiquant les excès de nombreuses études prospectivistes, il est vraiment possible de s'inspirer de cette approche. à titre d'exemple, citons les études* de l'Institute for Prospective Technological Studies (IPTS) auquel participent de prestigieuses organisations telles qu'Infonomics et qui est établi à Séville. Concrètement, dans l'étude intitulée The Future of News Media Industries. Validated Scenarios for 2005 and Beyond, et publiée à la fin de 2001, on peut découvrir les axes sur lesquels s'esquissent les divers scénarios. Ils constituent alors des aspects dont nous pouvons tenir compte au moment d'examiner la dynamique comparative ; c'est-à -dire qu'elle nous fournit l'information sur les éléments à partir desquels nous pouvons analyser le changement. Dans le cas des industries culturelles et de l'INTERNET, les axes essentiels sont, entre autres, la gratuité/paiement et la technologie du pousser/tirer (en anglais, push/pull). De manière plus évidente, l'histoire très récente d'INTERNET peut être vue comme la recherche de moyens de financement. Pour les sites qui proposent des contenus ainsi que pour les portails, on peut s'interroger sur la prédominance d'un modèle de financement : celui de la presse quotidienne, publicité + paiement ? Ou encore celui de la radiodiffusion (en anglais, broadcasting), pratiquement gratuit ? Assisterons-nous à l'émergence d'un modèle inédit, autrement plus complexe que ne le démontrent les portails actuels ? Un autre élément capital pour bien comprendre le changement à moyen terme est, dans mon esprit, celui des micropaiements. Une fois résolus les problèmes particuliers à ce mode de paiement, le développement d'un nouveau type de financement et la conception de nouveaux contenus seront alors possibles.

* Les études sont disponibles sur le site MUDIA (Multimedia in the Digital Age]

Citer cet article : http://histoiredesmedias.com/Economie-des-comparaisons.html