Cinéma
Ouvrage : Antoine de Baecque, La cinéphilie. Invention d’un regard, histoire d’une culture, 1944-1968 (Fayard, 2003). Recension par Yannick Dehée.
Historien des Cahiers du cinéma et biographe de François Truffaut, Antoine de Baecque était bien placé pour nous livrer cette histoire d’une « passion française ». Le familier de ses écrits retrouvera ici les palimpsestes d’articles antérieurs (sur Sadoul, Dort, Daney…), mais l’ensemble remis en perspective constitue un véritable essai de forte ambition sur la cinéphilie. Celle-ci est définie comme « une manière de voir les films, d’en parler puis de diffuser ce discours », née dans les années 1940 et morte — pour certains — dans les années 1970.
Sur le plan théorique et méthodologique, l’auteur propose de « réintroduire du cinéma dans la discipline historique ». (...) Lire la suite
Ouvrage : David Chanteranne, Isabelle Veyrat-Masson, Napoléon à l’écran (Nouveau Monde éditions, Fondation Napoléon, 2003). Recension par Marc Ferro.
Alors qu’on disposait d’un bon livre sur la Révolution française à l’écran — celui de Sylvie Dallet, il manquait une étude globale sur Napoléon recouvrant à la fois le cinéma et la télévision. Voilà qui est fait avec l’analyse de David Chanteranne et Isabelle Veyrat-Masson. La juxtaposition s’impose aujourd’hui car elle permet, sur un siècle entier, de mieux percevoir l’évolution du regard porté sur le Consul et sur l’Empereur : soit 700 films environ pour le cinéma, 250 productions télévisuelles sur 800 occurrences repérées ces derniers cinquante ans, le premier film audiovisuel datant des années 1950. Au milieu de ces multiples réalisations, les deux auteurs ont eu raison de sélectionner les œuvres les plus marquantes ou les plus (...) Lire la suite
Ouvrage : Jean-Michel Valantin, Hollywood, le Pentagone et Washington ; les trois acteurs d’une stratégie globale (Autrement, 2003). Recension par Yannick Dehée.
Cet essai très en phase avec l’actualité, et comme tel bien accueilli par la presse à sa sortie, explore une intuition commune à de nombreux cinéphiles amateurs de films d’action : la prégnance, des années 1950 à nos jours, des thèmes guerrier et sécuritaire dans le cinéma populaire hollywoodien ne serait pas sans lien avec la vision du monde peu nuancée du peuple américain. Selon l’auteur, le système stratégique et le système cinématographique américains se livrent à un dialogue permanent, qui aboutit à la création d’un genre à part, le cinéma de « sécurité nationale ». Celui-ci, qui a pour objet le rapport à la menace, est constamment influencé par les conceptions stratégiques du moment et, en retour, contribue à (...) Lire la suite
Ouvrage : Shlomo Sand, Le XXe siècle à l’écran (Seuil, 2004). Recension par Antoine Germa.
À l’heure où le cinéma rencontre un certain succès auprès des historiens mais où les recherches paraissent atomisées, l’ambitieuse synthèse de Shlomo Sand semble tomber à point nommé. Il s’agit rien moins, en effet, pour cet historien israélien que d’écrire l’histoire du xxe siècle à travers ses représentations cinématographiques. Autour d’une centaine de films, animé d’une volonté encyclopédique qui se nourrit d’une érudition impressionnante, l’auteur se livre à une relecture des grandes questions politiques et sociales qui ont traversé le xxe siècle : la misère et la lutte des classes, la guerre de1914-1918, le communisme, le fascisme et le nazisme, l’extermination des Juifs, la guerre froide, et enfin le colonialisme et le Tiers-monde. Dès l’introduction, il circonscrit avec honnêteté les limites de son corpus : les films convoqués étant presque tous occidentaux, des continents cinématographiques entiers restent dans l’ombre (Inde, Japon, Chine, Moyen-Orient…). L’auteur interroge la puissance d’enregistrement du cinéma. En refusant de reprendre à son compte les vieilles distinctions esthétiques entre « chefs-d’œuvre » et « navets », entre films d’auteur et films commerciaux, il considère le cinéma dans sa capacité à porter témoignage de l’état d’esprit d’une société à un moment donné. Les films sont ainsi appréhendés dans leur dimension idéologique. Ce postulat trouve sa justification dans un chapitre inaugural qui montre que le temps du cinéma est aussi celui de l’avènement des masses. Cette approche, classique, offre parfois de très belles pages. La mémoire du fascisme italien est ainsi l’objet d’une analyse minutieuse qui permet de proposer une chronologie éclairante : de Roberto Rossellini à Bernardo Bertolucci en passant par Dino Risi, le peuple italien était le plus souvent présenté comme la victime innocente d’un système politique abhorré soutenu par une minorité. Il faut attendre 1977 et le film d’Ettore Scola, Une journée particulière, pour voir mise en scène la participation des Italiens au fascisme : la rencontre entre une mère de famille mariée à un fonctionnaire du gouvernement (Sophia Loren) et un journaliste de la radio homosexuel (Marcello Mastroianni) est possible ce 6 mai 1938 car tous les locataires d’un immeuble romain sont partis ovationner le Duce et Hitler signant l’alliance italo-germanique. Les itinéraires personnels d’Antonioni et de Rossellini manifestent, par ailleurs, l’ambiguïté des Italiens à l’égard de cette histoire puisqu’ils ont été, eux-mêmes un temps, les défenseurs du régime fasciste.
Cette volonté de revisiter une histoire du cinéma, pleine de mythes, d’idoles et de maîtres, parcourt tout l’ouvrage. L’histoire des cinéastes soviétiques sous Staline n’est pas ici un long martyrologe mais le récit d’une connivence criminelle entre un régime totalitaire et des artistes : La ligne générale d’Eisenstein annonce la construction d’un imaginaire stalinien et contribue de ce fait à la persécution des Koulaks. Le procès instruit au réalisateur du Cuirassé Potemkine doit être lu comme une réponse aux travaux de Marc Ferro qui voulait voir dans les films de ce cinéaste l’expression d’un contre-pouvoir. Pour une mise en balance plus juste, on peut regretter que le livre taise les destins tragiques de Dziga Vertov, accusé de « cosmopolitisme » — car juif — à la fin des années 1930 ou d’Alexandre Miedviedkine, le réalisateur du Bonheur dont Chris Marker avait montré dans Le Tombeau d’Alexandre la façon dont son histoire personnelle se confondait avec celle du cinéma soviétique. Ces silences renvoient surtout au regard que Shlomo Sand pose sur le cinéma. Le primat accordé au politique aboutit à ignorer les problèmes formels qui, selon l’auteur, relèvent de l’esthétique et non de l’histoire. Le cinéma est alors cantonné au rôle de preuve supplémentaire et n’apporte aucun éclairage particulier. Tout se joue, en effet, dans l’explicite, le littéral, dans le message véhiculé par le film puisqu’« il ne s’est agi que d’introduire et d’analyser des représentations et des regards cinématographiques, généralement parmi les moins allégoriques et les moins métaphoriques ». Une étrange tension habite ainsi ce livre entre la croyance dans la capacité du cinéma à figurer l’histoire et le refus d’interroger les moyens par lesquels il peut y parvenir. Il est pourtant impossible de comprendre le cinéma soviétique des années 1920 sans s’intéresser aux choix formels qui le caractérisent : le cinéma est alors un art révolutionnaire qui incarne l’utopie communiste et le montage une arme de destruction du monde bourgeois. Le réalisme soviétique des années 1930 sonne la fin des innovations formelles et manifeste une modification profonde du régime qu’il faudrait analyser.
Plus généralement, il conviendrait pour un historien de discuter la proposition de Jean-Luc Godard qui, dans ses récentes Histoire(s) du cinéma, rappelle que le cinéma au vingtième siècle est le champ d’une lutte politique entre deux régimes d’images : d’une part, celles des régimes totalitaires ; d’autre part celles de l’« usine à rêves » hollywoodienne.
Antoine Germa
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 3, automne 2004, p. 236-37.
Ouvrage : Vincent Guigueno, Christian Delage, L’historien et le film (Gallimard, 2004). Recension par Antoine Germa.
Le cinéma est longtemps resté hors champ des études historiques. Il a depuis peu gagné ses lettres de noblesse et mérite désormais de figurer au rang « des objets sérieux ». À la génération des historiens précurseurs, incarnée par la figure tutélaire de Marc Ferro, à laquelle il faudrait ajouter celles de Pierre Sorlin et de Jean-Noël Jeanneney, succède celle des héritiers — nombreux — à laquelle appartiennent Vincent Guigueno et Christian Delage. Cet ouvrage nous permet de mesurer le chemin parcouru depuis la parution du livre programmatique de Marc Ferro, Cinéma et Histoire, car à ce changement de génération correspond un changement d’interrogations : hier regardé à travers le filtre de l’histoire politique et sociale, (...) Lire la suite
Ouvrage : Jean-Pierre Bertin-Maghit, Les Documenteurs des Années Noires (Nouveau Monde éditions, 2004). Recension par André Akoun.
Le livre qui nous est offert est d’une rare qualité. D’abord par son érudition. Il n’est pas une production cinématographique relevant du champ de son étude (documentaire et actualités) qui ait échappé à l’analyse. Ensuite par la façon dont est appréhendé un matériau cinématographique qui montre que l’auteur double ses qualités d’historien de celles de sociologue. Dans cette production des « années noires » il voit un phénomène social qui permet de saisir la France d’alors, toute entière et dans la complexité de ses contradictions. Ainsi du rapport entre la France occupée, directement sous commandement allemand, et la zone dite libre, qui relevait de l’autorité du Maréchal Pétain. Alors que cette dernière veut affirmer (...) Lire la suite
Ouvrage : Laurent Creton, avec la collaboration de F. Berthet, J.-P. Bertin-Maghit et F. Garçon, Histoire économique du cinéma français, Production et financement, 1940-1959 (CNRS Éditions, 2004). Recension par Patrick Eveno.
Le cinéma suscite de nombreuses recherches, mais sa dimension économique est rarement abordée. Longtemps, les études cinématographiques sont restées centrées sur les aspects culturels ou politiques du cinéma, tandis que l’analyse du système industriel était considérée au mieux comme vulgaire et au pire comme complice de ce même système. Cependant, des chercheurs regroupés au sein de l’Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel de l’université de Paris III Sorbonne nouvelle, ont entrepris depuis une dizaine d’années d’étudier les rouages de l’économie du cinéma. De 1997 à 2003, dans le cadre du Groupe de recherche en économie du cinéma et de l’audiovisuel, ils ont analysé la mise en place et le fonctionnement du système d’avances (...) Lire la suite
Ouvrage : Jean-Pierre Esquenazi, Godard et la société française des années 1960 (Armand Colin, 2004). Recension par Antoine Germa.
Relire à la lumière de la sociologie la carrière d’une icône de la cinéphilie comme Jean-Luc Godard ne va pas de soi. Comme le montrent les travaux de G. Sellier, la grille de lecture élaborée par les cinéphiles et popularisée par les Cahiers du Cinéma a empêché, des décennies durant, la réinscription des films et de leurs auteurs dans la réalité sociale qui les a produits. Le culte « auteuriste », marque de fabrique de la revue à la couverture jaune depuis les années 50, repose au fond sur l’occultation de toutes les contingences socio-historiques : la singularité du réalisateur et l’universalité du propos sont devenues l’alpha et l’omega d’une cinéphilie avant tout soucieuse d’honorer la figure romantique de l’artiste. (...) Lire la suite
Ouvrage : Fabrice Montebello, Le cinéma en France depuis les origines (Armand Colin, 2005). Recension par Yannick Dehée.
Si le cinéma a souvent la portion congrue dans les manuels d’histoire des médias, c’est que son étude est confinée dans deux ghettos : une histoire de l’art cinématographique d’un côté, une poignée d’historiens de l’autre, souvent obligés de justifier le « sérieux » de leur objet « cinéma et histoire » en traitant de préférence les périodes de guerre. Du coup, on manquait jusqu’ici d’une synthèse exploitable par les uns et les autres sur le « système cinématographique » : production, exploitation, réception (à l’exception du petit précis de Jean-Pierre Jeancolas, Histoire du cinéma français, paru dans la collection « 128 » chez Nathan – récemment (...) Lire la suite
Ouvrage : Irène Bessière, Jean A. Gili (dir.), Histoire du cinéma. Problématique des sources (Institut National d’Histoire de l’Art, Maison des Sciences de l’Homme, 2004). Recension par Isabelle Veyrat-Masson.
Ce livre collectif passionnant est le résultat du colloque inaugural du groupe de recherche « Histoire du cinéma, histoire de l’art », dirigé par Irène Bessière et Jean Gili. Ce groupe de recherche créé en 2000 marque l’aboutissement de la rencontre initiée au tout début de ce siècle par la création du Film d’Art en 1908 (cf. texte d’Alain Carou). Mais une chose était pour la profession cinématographique de se proclamer « art » ou « septième art » et autre chose la reconnaissance du cinéma et surtout l’accueil en leur sein de ce domaine par des spécialistes de l’histoire de l’art. En effet « les arts et le cinéma restent le plus souvent dissociés au plan des études historiques, (...) Lire la suite